You are currently viewing Une vraie fausse démonstration dialectique ?

Les orientations proposées par Vincent de Gaulejac dans ses différents travaux ont une visée critique à l’égard des cloisonnements disciplinaires, habituels dans les sciences sociales et humaines [sociologie, psychologie]. L’auteur tente d’articuler des registres souvent pensés comme étanches les uns aux autres. Explorateur de la sociologie clinique, il étudie les interférences entre les processus psychiques et les processus sociaux. Telle est son hypothèse : « Les  deux registres [du psychique et du social]  sont à la fois irréductibles l’un à l’autre et mêlés dans des intrications complexes et permanentes. S’ils ont une autonomie relative l’un par rapport à l’autre dans la mesure où ils obéissent à des « logiques » de nature différente, ils sont interconnectés, articulés, entremêlés de façon telle que l’on ne peut les appréhender l’un sans l’autre. Ils sont à la fois différents et interdépendants, distincts et reliés, autonomes et interconnectés » [Qui est « je », éd Seuil, 2009].

Cette thèse dialectique traverse l’ensemble de son travail théorique et méthodologique, étayée dans ses ouvrages de sociologie clinique.

Le social est irréductible au psychique car les rapports sociaux surdéterminent les conduites humaines : aspirations, motivations, croyances, goûts, manières de penser… sont des dispositions socialement conditionnées. « Le social préexiste au psychique » [p41]. Pour autant, le psychique est irréductible au social car le sujet ne se réduit jamais aux processus de socialisation qui le constituent. Il dispose de marges de manœuvre, est acteur dans les multiples choix qui le conduisent à être autre chose que ce que la culture, l’éducation, les habitus ont fait de lui. « Si la société préexiste à l’individu…on ne peut penser l’individu sans analyser en quoi il est à la fois producteur et produit du social » [p 42].

Ces deux logiques irréductibles l’une à l’autre n’en sont pas moins indissociables. C’est pourquoi V. de Gaulejac  élabore une théorie visant l’analyse des processus socio-psychiques à l’œuvre dans la construction subjective des individus car « il convient de comprendre les faits sociaux à la fois de l’extérieur, comme des phénomènes qui structurent l’existence sociale des hommes, la déterminent, la conditionnent, et en même temps de l’intérieur, dans la mesure où ils sont agissants « en soi ». Cette intériorité du monde social remet radicalement en question les équivalences habituelles entre d’une part psychologie/intériorité/psychisme et, d’autre part, sociologie/extériorité/social. Le social et le psychisme se nourrissent l’un de l’autre en permanence de façon indissociable » [p 203].

Questionnements…

La thèse avancée par V. de Gaulejac est précieuse en matière de décloisonnement disciplinaire et de stratégies d’interventions, explorées notamment dans son approche clinique «  Roman familial et trajectoire sociale ». Une certaine mise en cause des clivages habituels est à l’œuvre : intériorité /extériorité, psychique/social, individu/société. Il est possible d’évoquer des convergences entre les thèses développées par cet auteur et celles produites par Pratiques sociales. Mais celles-ci s’estompent vite si l’on examine les catégories mobilisées.

En effet, V. de Gauléjac évoque la porosité des rapports entre le social et le psychique tout en maintenant une vision essentialiste de chacun de ces deux registres : « il convient donc d’analyser les relations entre l’être de l’homme et l’être de la société » [p11] ou bien encore« entre l’être de l’homme et l’être de la société, le sujet advient comme élément de médiation, comme troisième terme face à l’ensemble des déterminations plus ou moins contradictoires qui le constituent »[p13]. Cette référence à « l’être » ne justifie-t-elle pas que « sujet » et « société », fonctionnent chacun de leur côté ? N’est-ce pas contradictoire avec son  propos ? : « Le social et le psychisme se nourrissent l’un de l’autre en permanence de façon indissociable ».

L’équivoque dans la tentative de penser dialectiquement les rapports entre le social et le psychique se trouve accentuée par le fait que l’auteur s’évertue à combattre, avec raison, le sociologisme et le psychologisme (ou psychanalisme) mais n’arrive pas à se déprendre des constructions idéalistes que ces disciplines ont forgé et qui maintiennent son propos dans un paradoxe permanent : celui de contester la séparation entre des entités postulées comme distinctes [le psychique, le social] mais de penser leur articulation, confirmant ainsi ce qu’il dénonce. V.de Gaulejac donne l’impression de rester prisonnier des limites proposées par la sociologie et la psychologie et/ou la psychanalyse (une certaine psychanalyse, car l’auteur ne privilégie pas l’orientation Lacanienne). Les catégories « d’être social » et « d’être de l’homme » rendent illusoire de travailler le nœud que pourtant, il donne l’impression d’investir.

Cette instabilité de la démonstration est probablement due au fait que l’auteur ne mobilise pas une perspective transdisciplinaire lui permettant de rendre compte de la dissolution pure et simple de l’étanchéité de ces catégories. Mais est-ce possible sans définir aussi rigoureusement que possible ce que social et ce que psychique veulent dire, à la lumière de la problématique ouverte par Marx,  refondée par Althusser et de la psychanalyse réélaborée par Lacan ? C’est là, semble-t-il, le fossé majeur qui sépare les orientations de V.de Gaulejac de celles forgées à Pratiques sociales[à suivre dans un prochain LPDC]  

Jean-Jacques Bonhomme – Février 2012

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