Le prêt-à-porter représente les habits préconçus par des stylistes, responsables de marketing, ateliers de fabrication pour satisfaire au mieux leur clientèle. Le travailleur social mettant en œuvre des pratiques à dominante prêt-à-porter concentre l’essentiel de son énergie à chercher et appliquer LE dispositif qui correspond aux caractéristiques présumées de l’usager. Son expertise se concentrera en premier lieu sur la panoplie d’aides qu’il peut mobiliser.
Est considéré sur-mesure un vêtement dont le client a pu sélectionner le tissu, les coloris, les détails, et dont la coupe correspond à la morphologie de son porteur. Investir un accompagnement social sur-mesure est un objectif affiché par des institutions sociales et médico sociales, ainsi qu’un guide de travail pour les professionnels soucieux d’adapter leurs pratiques à la singularité des sujets rencontrés.
A première vue, la figure du sur-mesure nous semble une conception de l’accompagnement à soutenir et à favoriser toutes affaires cessantes. Le professionnel peut s’octroyer certaines libertés d’action et des possibilités de tricoter un accompagnement aux mesures de l’usager. Il le fait cependant au sein d’institutions aux missions législativement déterminées, dans un métier régi par des lois et décrets, en fonction d’idéaux et d’affects, de compétences et d’ignorances qui déterminent sa manière singulière d’accompagner. Il convient d’user avec une certaine pudeur de terminologies telles que « accompagner le sujet dans sa globalité », « l’usager au centre du dispositif », au risque d’être dans le leurre du « tout sur-mesure ». Aucune intervention n’est totalement sur-mesure, au même titre qu’un vêtement dit sur-mesure est confectionné à partir d’un choix forcément limité de tissus, de couleurs, dépend des (in)compétences du tailleur et ne sera donc pas uniquement fonction des goûts et de la morphologie du client.
Certains professionnels se sentent écrasés par le poids de protocoles maniaques, soumis à des évaluations rigoureuses, dans des institutions soucieuses d’uniformiser les pratiques. C’est ici le manque de « sur-mesure » qui se fait entendre. Il peut s’avérer salutaire de produire une réflexion à propos du rapport subjectif entretenu avec ce cadre d’intervention, tout un chacun étant susceptible de devenir plus maniaque que les protocoles dont il se plaint, de se conformer avec une suspecte docilité aux modalités d’homogénéisation des pratiques, de s’auto censurer.
Gardons en vue qu’il existe du prêt-à-porter de très bonne facture et que le sur-mesure n’est en rien une garantie d’efficience et de qualité. De plus, un accompagnement encadré par une organisation aux envahissantes rigidités n’exclut pas des marges de manœuvre. La sphère relationnelle par exemple (dont le transfert est l’un des opérateurs) offre moult possibilités de prendre en compte le sujet : composer avec ce qu’il dit, ne dit pas, ne dit pas complètement, ne dit pas bien ou trop bien, dit à visage masqué etc. Prendre en compte l’usager, faire avec lui plutôt que pour lui, ne sont pas des prescriptions dogmatiques qui invitent à remplacer pour de bon le prêt-à-porter par le sur-mesure, mais constituent des prises de parti cliniques et idéologiques, donc éthiquement chargées, pour un sur-mesure le plus lucide possible.
Sébastien Bertho – août 2018
J’apprécie beaucoup cette réflexion. Elle rencontre mes interrogations personnelles et professionnelles. Quid du praticien qui sait et de celui qui doute de son savoir ? S’appuyer sur le savoir collectif (le prêt à porter) et/ou sur le savoir individuel (expertise réelle ou supposée) ? Il y a sans doute un milieu, ou une navigation entre les deux, ou un mélange comme ici suggéré.
Ce sujet me semble mériter une attention particulière parce qu’il me parait être souvent source e conflit ou de mésentente.
Merci de participer à nos réflexions que nous voulons théoriquement rigoureuses et pratiquement pertinentes. C’est pourquoi ces quelques questionnements à propos de votre texte. Pensez-vous qu’un savoir puisse être individuel, logé chez un seul sujet, dont celui-ci serait l’auteur souverain sans recours au collectif, à l’accumulation que seules des générations peuvent effectuer, à la mise à disposition que seules les institutions peuvent offrir ? Et vice-versa, il faut des porteurs effectivement singuliers, soit des sujets qui assument à leurs risques et périls le développement et la transmission d’un savoir qu’ils contribuent à fabriquer. Bref, c’est bien la dialectique de l’individuel et du collectif qui compte, c’est la navigation comme vous dites qui est déterminante. Nous serons heureux de partager encore notre espace, nos publications avec vous.