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(A propos du quatrième de couverture de l’ouvrage collectif l’Appel des appels, pour une insurrection des consciences)

La démarche de ce collectif est conjoncturellement nécessaire à une époque où la rationalité néolibérale s’attaque sans trop d’états d’âme aux avancées progressistes et à toute initiative qui n’exhibe pas sa rentabilité mercantile. Depuis sa fondation fin 2008, l’Appel des appels ne cesse de compter de plus en plus de militants et sympathisants. La mobilisation est donc à l’œuvre.

Cependant, l’argumentaire qui motive cette insurrection des consciences doit être interrogé, en particulier les références théoriques et les analyses critiques qui le fondent. Examinons quelques points de la quatrième de couverture de l’ouvrage.

Certaines des recommandations avancées par Pierre Bourdieu s’avèrent pour cela particulièrement précieuses, dont celles-ci : « La définition de l’enjeu de la lutte est un enjeu de lutte » ; « La connaissance de la domination est une arme contre la domination »[Ces deux recommandations méritent des commentaires explicites. Nous y reviendrons au prochain numéro].

La première recommandation invite à préciser aussi rigoureusement que possible l’objet, les raisons  et les positions contre lesquelles on se bat et celles que l’on défend. Il ne s‘agit pas seulement de désigner l’adversaire extérieur, mais aussi d’identifier au sein même de ses propres manières de faire et de penser, les oppositions mais aussi, voire surtout, les alliances avec cela même qu’on dénonce. La seconde  recommandation insiste sur la pertinence des savoirs mobilisés et la lucidité des analyses produites. Ceci ne remplace nullement la lutte concrète, mais la rend davantage réaliste. Pourquoi lutte-t-on et avec quelles armes théoriques ? Ces questions se posent vraiment à propos de l’Appel des appels

Mais où est la dialectique ?

Le texte proposé en quatrième de couverture de l’ouvrage paraît décrire un monde spéculaire opposant deux « totalités unifiées » : d’une part un « Etat entreprise » omnipotent et mortifère, d’autre part des forces sociales et culturelles, toujours progressistes. Dans ce face à face qui semble confondre toute-puissance et domination, il paraît difficile  de penser les contradictions, d’envisager des marges de manœuvre concrètes, d’identifier les complicités objectives et subjectives avec l’adversaire. C’est sans doute pour cela que le mot d’ordre« sauvons la clinique » généralise les multiples approches sans épingler par exemple celles qui individualisent à outrance les problématiques des patients et psychologisent les enjeux sociaux. Sur ce point L’Appel des appels ne dit rien des compromis voire des compromissions que les multiples acteurs passent de fait avec les idéaux de normalisation qu’ils dénoncent par ailleurs.

L’Appel des appels projette un futur apocalyptique, image inversée de la nostalgie d’un passé imaginaire. « Demain, lorsque la normalisation des conduites et des métiers régnera définitivement, il sera trop tard ». Fantasmer une normativité absolue empêche de qualifier rigoureusement les prises de parti à propos des normes que chacun juge défendables ou condamnables, partant les positionnements idéologiques et politiques à l’égard des normes qu’il souhaite soutenir, celles avec lesquelles il tente de passer des compromis, celles qu’il entend subjectivement et objectivement combattre.

Encore et toujours l’humanisme !

En l’absence d’une démarche dialectique, l’Appel des appels est conduit à investir une posture morale qui s’avère au mieux défensive.  En effet, l’hétérogénéité des perspectives subsumées sous le signifiant « L’Appel des appels », est unifiée par un grand dénominateur commun : l’humanisme, version laïque de la théologie (Saül Karsz). Censés dépouiller l’homme de son humanité supposée, le néolibéralisme et ses pratiques technico-idéologiques (management-évaluation) sont alors érigées en puissances démoniaques, finalement hors de portée des humains, et donc des luttes concrètes.   L’humanisme n’est-il pas ce signifiant mobilisateur si consensuel qui permet d’évincer les postures idéologiques et politiques, forcément partisanes ? Les animateurs de l’Appel des appels n’ont pas raison d’appeler leurs adhérents à parler d’une seule voix contre le néolibéralisme. Ils pourraient méditer cette proposition « Protégez moi de mes amis, de mes ennemis je m’en occupe ».

Pourquoi on lutte et avec quelles armes théoriques sont vraiment des questions redoutables !

Jean-Jacques Bonhomme – Septembre 2011

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