You are currently viewing Ni droite ni gauche, quoique…

En France, lors de l’Assemblée Nationale d’août-septembre 1789, les députés partisans du veto royal (aristocratie et clergé) se regroupèrent à droite du président, les opposants à gauche sous l’étiquette de «patriotes» (Tiers état). Des affrontements sur de multiples affaires ont progressivement illustré ce clivage, également répandu dans maints pays. On admettra cependant qu’une disposition spatiale ne suffit nullement à établir des options politiques durables. Ce n’est guère difficile de passer de l’autre côté de l’hémicycle tout en affirmant qu’en réalité on n’est pas là. Ou qu’on y est mais malgré soi.  Ou encore que c’est affaire de point de vue, etc. etc. Bref, la différence droite-gauche, loin d’être statufiée une fois pour toutes, nécessite d’être inlassablement précisée, reprise, adaptée aux conjonctures – définie et analysée avec autant de rigueur que possible. Trois principes au moins sont indispensables.

Primo, ne pas confondre l’option affirmée, sinon déclamée, avec l’option effectivement mise en œuvre. Il y a des réactionnaires de gauche comme il y a des réformistes de droite : en matière d’affaires sociales les exemples font légion. Une déclaration de gauche, qui encourage l’engagement dans les affaires de la cité, peut ouvrir la voie à des réalisations de gauche en ce sens – ou guère, pas complètement, pas immédiatement. Discours et pratiques obéissent à des logiques spécifiques qui ne vont pas forcément de pair.

Secundo, ne pas identifier les étiquettes des partis (droite-gauche) à leurs plateformes doctrinales, leurs fonctionnements internes, leurs modalités d’implantation ni enfin leurs réalisations concrètes.

Tertio, rappeler que les options politiques (déclarées et/ou pratiquées) ne coïncident pas avec les positionnements idéologiques. Même si les unes et les autres se recoupent partiellement, ils ne fusionnent pas. Les options politiques concernent le pouvoir, les rapports entre couches et classes sociales, les positionnements idéologiques ciblent aussi les relations de travail, les rapports de genre, le rapport à la loi, les orientations morales et religieuses, le sens commun, les configurations subjectives. Fonder un parti politique n’équivaut pas à forger un positionnement idéologique allant dans la même direction. Défi valable y compris pour le citoyen lambda (« pas raciste, je n’aimerais quand même pas que ma fille se marie avec un étranger ! »).

Conclusion. Une seule politique est possible, tout revient au même, tous des pourris : lieux communs d’une doxa appareillée à droite car, hégémonique depuis des siècles, celle-ci est massivement nourrie d’évidences et de lieux communs amplement diffusés, faits chair. Que la gauche ne soit pas (que) de gauche – rien de plus normal : confrontée au réel, elle se doit de s’inventer politiquement, de se (re)créer idéologiquement, d’innover institutionnellement, de s’ancrer subjectivement. Sous peine d’inexorablement calquer la droite qu’elle entend surtout ne pas être !

Tout cela est fort compliqué – pour les amoureux des cohérences linéaires et simplettes. Car la démarcation droite-gauche n’est pas immédiatement lisible : dialectique, elle est ponctuée par des contradictions fortes et persistantes et aussi par des alliances relatives, des rechutes et des avancées. Depuis 1789, la frontière se trouve en reconstitution permanente – ni état définitif, ni condition divine ni malédiction satanique. La cohérence entre déclaration d’intention et mise en acte, entre option politique et positionnement idéologique, entre engagement syndical et expérience subjective est et reste éminemment historique : à retravailler sans cesse. Piste utile pour s’orienter dans les difficultés actuelles – en deçà et au-delà de la désespérance tenace et la certitude béate, deux postures finalement complices l’une de l’autre.

Saül Karsz – Novembre 2013

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.