Soyons précis. Cette moralisation est une variante de la morale en place dont il s’agit de corriger certains des dérapages trop visibles et des incohérences trop manifestes vis-à-vis du monde réel, du monde qu’elle est censée régir. Enjeu : certainement pas de venir à bout de ces traits récurrents du capitalisme que sont les privilèges exorbitants de certains et les misères et souffrances non moins exorbitantes de beaucoup d’autres. Il s’agit d’encourager des prises de conscience, de favoriser quelques modifications des mœurs, de rectifier à la marge des comportements pris pour des exceptions ostensiblement insupportables en démocratie, – sans toucher à la logique d’ensemble, ni se demander comment et pourquoi l’exception est elle-même une règle. Enjeu : non pas révolutionner, mais pacifier. Ou si on préfère, repriser des consensus. Cette démarche ne va pas sans contradictions, allers-retours, atermoiements et rancunes. Mais ce n’est pas là, pour nous, une raison pour être déçus Car une morale peut difficilement faire autre chose que lubrifier des pratiques, des mécanismes, des dispositifs ainsi confirmés dans leur bien-fondé.
Pas question de discréditer la dite moralisation, qui est loin d’être complètement superflue, mais de la situer à sa place, – tout en lui enlevant, en passant, ce qu’elle comporte d’idéalisation du monde réel. Condition pour ne plus être déçus qu’elle ne produise pas ce qu’elle ne peut jamais produire.
Saül Karsz – Mai 2013