You are currently viewing Mais, qui évalue les évaluateurs ?

Déjà Marx se demandait : qui éduque les éducateurs ? Voilà une question qu’on peut adresser à tous ceux qui entendent régir le destin d’autrui et dire mieux que quiconque ce qu’il est bon de faire et de ne pas faire. Certes, l’évaluation peut aider à prendre du recul et à esquisser des améliorations. Nous ne discutons pas, à Pratiques Sociales, de l’opportunité de l’évaluation, – mais du bien-fondé de certaines des procédures et des démarches, des présupposés et des visées concrètement en jeu.

La question se pose à propos de la déqualification récemment infligée à la France par une agence internationale (= américaine) de notation. Comment ces agences de notation s’y prennent-elles ? Grassement financées par les Etats, elles ont un fonctionnement nullement exempt «de conformisme, incurie et mauvaise foi », selon S. Didier (analyste sénior d’une grande agence de notation en Europe – Le Monde du 18.01.2012). Les critères de notation semblent particulièrement opaques, guère explicités et dogmatiques car finalement indiscutables : tout se passe comme si, malgré ou à cause d’une rationalité présentée comme allant de soi, logée au-delà de tout conflit d’intérêts, une irrationalité crasse et banale qu’on retrouve également ailleurs s’y faisait implacablement jour.  Caractéristiques quelque peu rédhibitoires quand il s’agit de légiférer sur la crédibilité des Etats qu’on persiste à appeler souverains et qui plus d’une fois le sont plutôt approximativement…

Légiférer : non pas sous la forme des corps de lois, mais en termes d’inspiration, instigation, ordonnancement vis-à-vis des lois qu’il convient de dicter et des politiques qu’il convient de déployer. La notation légifère sur la contribution des Etats à la reproduction des marchés capitalistes à l’échelle mondiale et sur l’austérité que ces Etats s’imposent afin de consolider ces marchés à l’échelle nationale. Les agences de notation ont un rôle de gardiennes du temple au veau d’or. Les Etats les financent pour qu’elles s’en acquittent dans de bonnes conditions et pour qu’elles disent qu’il en est bien ainsi.

Deux postures sont alors possibles. S’incliner devant ce verdict et faire le possible, voire l’impossible, pour récupérer quelque A, ou bien construire des voies alternatives, nationales et internationales. Aucune de ces postures n’est simple ni gagnée d’avance. La première annonce de nouvelles crises, des souffrances renouvelées pour des populations chaque fois plus nombreuses ; la seconde rappelle que, de l’avenir, nous sommes tous co-responsables. On l’aura compris, l’enjeu dépasse de loin les agences de notation et le remake d’examen scolaire qu’elles instaurent…

Saül Karsz – Février 2012

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