Dans cette autofiction de Romane Bohringer et Philippe Rebbot, l’amour n’est pas fou comme l’écrivait André Breton ou le chantait Frédéric François. Il est plutôt flou car pluriel.
Réalisé en 2018 par un duo (à la vie comme à la scène) sur leur propre couple, ce film questionne la transition, la mutation de la conjugalité à la parentalité, en dépassant très vite l’idée de crise.
Dans la scène inaugurale, Romane, allongée sur le divan, est submergée par la tristesse à l’évocation de la fin de son couple. Elle la vit comme l’échec d’un projet de vie, d’un amour, comme « le ratage de l’éternité imaginaire censée s’y consommer » (S. Karsz dans Mythe de la parentalité, réalité des familles). Cette finitude apparaît d’autant plus douloureuse qu’ils ont deux enfants.
Un promoteur immobilier lui propose ensuite un projet original, une trouvaille : deux appartements séparés communiquant par la chambre de leurs enfants. A défaut d’une cohabitation, ce projet offre des perspectives nouvelles de coéducation.
Mais les contours de ces nouvelles modalités familiales sont flous et constituent l’un des ressorts comiques du film qui prend des allures de vaudeville moderne et familial. Le spectateur assiste à une scène jubilatoire où les deux parents ouvrent en même temps leur porte respective du « sas des enfants » pour que ces derniers passent à table : le père parvient à attirer ses enfants chez lui en les appâtant avec un repas plus alléchant que celui préparé par leur mère, qui finit par manger avec eux.
La porosité des espaces intimes exacerbe le flou de ce couple qui persiste entre couple conjugal et le binôme parental.
Les deux acteurs cheminent tout au long du film, tandis que la scène finale semble une réponse à celle du début : à la complainte de Romane répond la déclaration optimiste de Philippe qui fait un bilan enthousiaste de leurs dix années de vie commune – ils ont réussi à être amis, amants, parents, puis à nouveau amis. C’est une réussite dans la mesure où Philippe parle de cycles de vie successifs -avec leurs spécificités, où les joies et désarrois se sont succédés, entremêlés – et non de strates qui se seraient superposées dès le début en vue d’agréger une fois pour toutes un couple conjugal/parental éternel et immuable
Vivre séparés mais ensemble, vivre séparés et ensemble. Loin d’exposer un paradoxe, ce film dessine nettement les contours de l’une des multiples « réalités des familles » et aussi une des manières plurielles de faire couple aujourd’hui.
Sandra Bosquet – Octobre 2019