Evénement, la réforme marque un nouvel épisode dans l’emprise néolibérale sur les sociétés contemporaines. Elle est tenue d’être autoritaire, ne peut guère céder aux revendications des classes moyennes et populaires car les enjeux sociaux sont trop graves, la conjoncture de plus en plus difficile, maintenir la situation respective des différentes couches et classes sociales les unes vis-à-vis des autres de plus en plus étriqué. La surdité des promoteurs de cette réforme est proportionnelle à leur écoute attentive des marchés. Moderniser la société, soit la rendre encore plus libéralement compatible, est à ce prix.
Symptôme, cette réforme qui ajoute deux ans à la période de travail obligatoire (sic) pour les salariés en leur enlevant par là même autant de temps et d’énergies consacrés à d’autres activités, ne se réduit pas à son volet comptable, ni même économique. Telle est sûrement la seule certitude partagée par partisans et adversaires de la réforme. D’après ce qu’on peut savoir au travers du maquis enchevêtré de mensonges et autres fake news, sauver les finances publiques n’est pas nécessaire puisque celles-ci se portent suffisamment bien : en attestent les aides faramineuses octroyées aux entreprises, la plupart sans contrepartie, pendant la période Covid. Ce sont des modes de vie qui sont en jeu, la tenue des multiples services essentiels offerts à la communauté, l’accès à certaines activités, à certains droits et devoirs, la possibilité de plaisirs et de jouissances constamment différés. D’un point de vue statistique, allonger de 2 ans la vie au travail réduit d’autant l’espérance de vie des classes populaires. Bref, nous sommes aux prises avec une réforme existentielle. S’agirait-il du « nouveau monde » promis jadis par le président de la République ?
Evénement et symptôme, cette réforme dit qu’il n’y a pas de droits acquis pour toujours, de situations irrévocablement pérennes, de liens individuels et collectifs muséifiés. Même les classes possédantes se doivent d’accroitre régulièrement leurs richesses, d’étendre sans cesse leur emprise. Obligation est faite à tout un chacun de choisir son camp, d’un côté ou de l’autre : choix polarisé, extrême, drastique, parce que tels sont les temps que nous vivons. Autant dire que de ce qui arrive, et de ce qui n’arrive pas, nous restons irrémédiablement co-responsables.
Saül Karsz – mars 2023