You are currently viewing La protection de certaines enfances : une tentative de Fernand Deligny (1913-1996)

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Méthode : des articles sont parus dans Le Pas De Côté sur la démarche en 2022 ; l’intervention orale est plus courte que le texte de ce qu’aurait pu être mon intervention.

Les numéros de pages renvoient à l’édition des Œuvres de Deligny dont la référence figure dans la bibliographie finale.

 1          La protection de certaines enfances

11 A l’origine des choix d’enfances

En matière de protection, protéger certaines enfances, pas toutes, pas n’importe lesquelles, concerne notamment celles qui font écho à la nôtre d’enfance, celles qui se sont imposées dans notre histoire. Comment Deligny s’est-il intéressé à certaines enfances ? Qu’est-ce qui l’inclinait à aller vers ces enfances-là et pas d’autres ? Quels risques a-t-il pris à se maintenir des décennies, au quotidien, avec certains enfants ?

D’abord, il est question des circonstances.

Les circonstances

Dans le parcours de Deligny, on distingue trois zones géographiques et trois moments de vie :

De 1928 à 1948, la jeunesse d’éclaireur « sans chef ni insigne », l’enfance inadaptée des classes de perfectionnement, puis les délinquants jeunes majeurs condamnés à l’emprisonnement ou à l’asile, à Armentières, dans le nord de la France, les foyers de prévention à la délinquance juvénile en 1943, les Centres d’Observation et de Triage en 1945.

De 1948 à 1967, Deligny met en place le réseau de La Grande Cordée à Paris, dans l’est et le sud-est de la France ; enfin de 1968 à sa mort en 1996, le hameau de Graniers, dans les Cévennes, où il vécut trente ans sans en bouger, avec des enfants qui n’ont pas accès à la parole.

Le Journal d’un éducateur paru en 1966 dans le premier numéro de la revue Recherches, fondée par Félix Guattari, a été écrit par Deligny à la clinique de La Borde, à 53 ans. Je perçois dans cette période, la plus sombre de sa vie, une césure entre les trente années passées avec des enfants et adolescents dits arriérés et caractériels et les trente autres à vivre avec des enfants autistes.

Deligny a derrière lui les années 1930 et le traitement réservé aux jeunes délinquants par l’Institution Publique d’Education Surveillée (IPES) ; sur la diapositive projetée, on voit les fameuses « Cages à poules », du centre d’Aniane, près de Montpellier, supprimées vers 1941 seulement. Après-guerre, la notion d’« enfance inadaptée » est encore mal définie, elle concerne indifféremment l’éducation spécialisée, la psychiatrie ou la justice. C’est à la faveur de cette confusion institutionnelle que Deligny profite d’une expérience d’instituteur, d’éducateur à l’IMP d’Armentières, de conseiller technique à la prévention de la délinquance juvénile. Presque des hasards.

A la Libération, Deligny a 32 ans, des psychiatres progressistes prônent alors une « clinique totale » du sujet dans les milieux de vie de ce dernier. Le développement institutionnel de l’Enfance inadaptée et de l’Education surveillée, à cette époque, en est la traduction directe. Les premiers clubs de prévention voient le jour. La cause de l’enfance malheureuse ou coupable, désignée comme « inadaptée » s’avère fédératrice ; il s’agit de restituer à l’enfant le droit à l’éducation et à la socialisation dont il a pu être privé.

Il y a lieu d’insister sur ce fait : La participation de Deligny à la politique de Sauvegarde de l’enfance a tenu aux circonstances exceptionnelles de la Seconde guerre mondiale et aux tâtonnements de l’éducation spécialisée naissante (p.112). Les tâtonnements ont à voir avec la tentative.

La guerre a joué un rôle important et notamment l’évasion des pensionnaires d’Armentières après un bombardement ; car plusieurs sont retrouvés plus tard, adaptés, avec un emploi. Cette expérience révèle à Deligny la part décisive des circonstances. Il dira que l’éducateur est un créateur de circonstances. « C’est celui qui, avec ces autres, crée des circonstances, grâce aux autres qui sont là. » (p.1192)

Outre ces circonstances, Deligny serait-il né avec la guerre ? En mai 40, il échappe de peu à la chute d’un rail immense tombé à quelques pas de lui, alors que les avions larguent des bombes ; il ne peut pas se retourner pendant quelques secondes, il entend mais, tétanisé, ne peut détacher son regard de l’écorce de l’arbre devant lui. Cette expérience lui aura permis de s’arrêter à ce que peut percevoir un enfant autiste, dans son retrait (p.1133).

Dans le Journal d’un éducateur, il écrit combien, mobilisé pendant la guerre, il s’est senti plus proche du corps de six petites souris « que de n’importe qui, parce qu’elles vivent, si étrangères à l’événement qu’elles ne peuvent pas être touchées » (p.12). Là, sous les bombes, il éprouve l’insensibilité qu’il retrouvera chez les enfants autistes, la manière dont l’autre peut être perçu.

Par ailleurs, en termes d’influence, nulle part dans son œuvre Deligny ne parle des camps de concentration, de Primo Lévi ni de Robert Anthelme, mais il évoque Martha Desrumeaux, une grande figure du mouvement ouvrier et de la résistance. (p.180)

Bien qu’il ait rendu sa carte au Parti communiste en 1962, il donne son dernier entretien à L’Humanité en juillet 1996. On pourrait dire qu’il lâche l’histoire en 1960, à la mort d’Henri Wallon, le seul parmi les communistes qui admît son indépendance.

Voilà pour les circonstances. Observons à présent le contexte familial dans lequel il a pu se construire.

L’humus

Homme du Nord, Fernand Deligny naît en 1913 à Bergues, à quelques kilomètres de la frontière belge, sa mère est originaire des Ardennes, son père, du Pas-de-Calais ; parti pour la guerre en 1914, il est tué et porté disparu en 1917. Deligny devient pupille de la nation à 6 ans. Il ne mentionne le lieu de la mort de son père que dans le Journal d’un éducateur (1966). Mais il ne s’identifie ni au Nord, ni aux Cévennes. Son territoire est littéraire.

Né un peu avant la guerre de 14, il construit sa personnalité avec un grand-père capitaine des douanes, une mère petite-fille d’un militant anarchiste des Ardennes et un frère professeur de lettres. Les livres lus, les films vus, la guerre de 40, la radio, l’enthousiasme pour les russes, la guerre d’Espagne constituent selon ses dires l’humus de sa culture (p.1006).

Une question : Le corps du père disparu serait-il à l’origine de son expérience du non-être ? Parfois, Deligny se sent un idiot au sens d’ « ignorant », le contraire d’un spécialiste, pas du métier, comme les êtres avec lesquels il va passer sa vie.

Un portrait de Deligny le désignerait comme un instituteur, un éducateur, un intellectuel sans discipline assignée et un inventeur (p.27). Educateur-écrivain-cinéaste, comme il est parfois nommé, Deligny a usé du mot libertaire pendant longtemps, et de l’exaspération du soi-même qui va avec, jusqu’à lui préférer celui de réfractaire qui ne récuse pas le service mais veille au reste aussi (p.1155).

Approchons-nous encore de plus près de la démarche de ce réfractaire pour cerner ce qui a favorisé son choix de vivre avec des enfants autistes.

L’absence

Filmer les absences est l’objet du travail ; la présence absente de Janmari réincarne le deuil du père disparu sans laisser d’image (p.1038). Pour filmer des absences, Deligny filme le monument aux morts de la ville. Quand il accueille des travailleurs sociaux dans les lieux de séjour, il leur demande de raconter ce qui se passe sur leur lieu habituel de travail, quand ils n’y sont pas. Une expérience qui m’impressionnera fortement, à 20 ans.

Dans Le Croire et le Craindre, autobiographie (1978), Deligny évoque la nostalgie de ne pas être autiste (p.1091). Il suggère de prendre les portes comme ponctuation de son histoire ; ce qui est resté dehors, hors de l’école maternelle déjà, est séparé du dedans où il faisait des traces avec une petite fille : du dehors qui était dedans. Il est pupille de la nation, ses oncles voulaient qu’il soit officier, en héros virtuel. A la porte du lycée, il sort et ne revient pas. Il devient instituteur par déduction : puisqu’il n’est pas rentré à la caserne et que les instituteurs étaient libérés deux ou trois mois avant la fin du service, c’est qu’il est instituteur (p.1092).

Deligny dit écrire plus facilement qu’il ne parle (p.1095). Ecrire a toujours été pour lui le projet qui lui a servi de dérive pour échapper à la carrière, dit-il, comme il a échappé aux prix et à la compétition. Sa place était la chose à laquelle il ne croyait pas, dans le PCF, pendant la guerre, à l’hôpital d’Armentières, etc.

« N’étant rien, j’étais content, et maître de mes trajets, de mes détours dans cette extraordinaire caserne bâtie comme il se doit sur un fond d’abbaye. » A propos de l’asile, il écrit ce qui a présidé à sa vocation : « (…) je crois que tout part, pour moi, de cette sensation de privilège » de jouir de la liberté d’aller et venir (p.1001).

Ancré dans les Cévennes, -la carte du Séré (p.946) montre les vagues érodées de la chaîne hercynienne- Deligny est sensible au fait que les poutres de la maison sont du même bois que celui des galères ; là s’ancre le mythe, le lieu pour lui.

Parmi les points communs entre les jeunes délinquants puis les enfants autistes et lui, on pourrait trouver : la liberté de se déplacer vécue comme un privilège ; le goût du réseau ; l’inventivité ; l’expérience de l’absence, du silence ; l’ancrage dans des lieux ; le non-être, etc.

12     Le choix d’enfants autistes

En 1975-1976, Deligny se démarque de l’image de l’enfant victime des institutions et de la famille, contemporaine des développements de la pédopsychiatrie et de la pédagogie nouvelle ; c’est ce que développaient les ouvrages de Foucault (Surveiller et punir, La Volonté de savoir, Moi, Pierre Rivière…). L’enfant autiste, aux yeux de Deligny, n’est pas un enfant. Il ne joue pas, ne manifeste ni besoin, ni manque, ni désir ; n’est passible d’aucun apprentissage.

Deligny vit dans les Cévennes à partir de 1967 et y reçoit des enfants qui n’ont pas accès à la parole ou des enfants dont la parole est vide, habitée par celle des autres voix entendues. Un enfant autiste peut aussi user d’une voix rauque qui est presque une toux. Selon Deligny, le professeur qui dit « irrécupérable » un de ces enfants-là aurait dû ajouter « …dans des circonstances données, telles que je les connais et les admets et qui sont celles où il sera placé » (p.765).

La période 1974-1978 correspond aux années les plus actives du réseau. Sept lieux, fermes ou campements, sont tenus par une dizaine d’adultes permanents assistés par des stagiaires (jusqu’à quarante en été), les enfants, hormis les trois à demeure (Janmari, Christophe B. et Gilles T.) sont entre vingt et trente à chaque saison. La période correspond également aux années les plus expérimentales ; Deligny invente la pratique des cartes et un début de recherche sur l’image pendant ces années 1970 fascinées par le retour à la terre, la folie, l’art brut et la vogue des communautés.

L’agir

Deligny rappelle à ses interlocuteurs des lieux d’accueil dans les Cévennes ses exigences : les enfants doivent avoir entre trois et dix ans, être « hors parole », les frais sont de quarante francs par jour, les séjours peuvent durer de trois à quatre mois, répartis en trois ou quatre fois dans l’année. Il veut disséminer les aires de séjour pour échapper au contrôle de l’administration. Néanmoins, le prix de journée implique des visites, des dossiers à remplir et une évaluation, si distante soit-elle. Le fil reliant les lieux de séjour à l’administration n’est pas rompu.

Deligny perçoit l’autiste comme affranchi du désir de révolte et de sujétion, affranchi de « l’autre » (p.1370). L’image de référence perçue par l’autiste, une « présence proche », un objet, un geste rituel, l’heure des repas, est celle à laquelle il ne doit rien manquer.

Sur place, il n’y a pas d’histoires, pas de « cas » à relater, le silence des enfants n’est pas un silence à percer. Deligny fait remarquer à un passant, une des nombreuses personnes qui se rend temporairement sur les sites, que lorsqu’il n’y a pas la place pour ça, les enfants ne déconnent pas : il raconte l’histoire du voisin préoccupé par sa machine en panne et à côté duquel l’enfant autiste s’est tenu tranquille.

Le gamin autiste, ce qui l’agit, c’est d’agir, alors que nous, ce que nous agissons, c’est de faire. Il y a une différence entre agir et faire (p.1767). On fait la soupe, on fait la vaisselle ; l’enfant autiste qui est là et travaille ne fait rien, c’est de l’agir. La question du passage de l’agir désintéressé au faire (normatif, social) est cruciale. Deligny ne pense pas pouvoir guérir l’autisme qui, pour lui, répétons-le, est une alternative à l’assujettissement et une richesse inexplorée de formes poétiques et plastiques.

Pour tenter de cerner non pas une intention mais des traits récurrents, des répétitions, dans les déplacements des enfants autistes, la transcription des lignes d’erre ne les concerne qu’indirectement ; elle s’adresse davantage aux adultes, à leur capacité d’y voir un caractère commun sans sujets ni langage, dépris d’eux-mêmes. Deligny inscrit son écriture dans les cercles répétés de l’autiste. Le cercle est la métaphore autistique et la « vingt-septième lettre de l’alphabet », une « non-lettre », dit-il. Geneviève Haag, psychiatre psychanalyste, interprète la fascination des autistes pour les formes rondes comme le signe d’une émotion esthétique primitive (p.1657).

Les repères

Le travail des adultes dits « présents proches » est de créer des repères : un geste, un rituel, un objet, n’importe, du moment que c’est repéré, ensuite ne plus y toucher, ne pas l’oublier non plus (p.1768). La restauration de l’intégrité de l’image perçue est la condition du retrait de l’angoisse. La rigueur de l’autiste fait qu’à tout moment, ils savent où sont les choses (p. 929 et suivantes) ; l’heure du déjeuner doit être strictement toujours la même. Mais l’enfant ne peut pas trancher dans le fil. On ne peut pas parler d’initiatives dans ce qu’il agit.

Janmari passe la porte « à la suite » de l’objet qu’il porte ; il ne parvient à passer la porte que chargé de l’objet à porter ailleurs (p.1211).

Jacques Lin raconte comment une nuit il entend Janmari pleurer doucement dans son lit ; rien à faire, il ne réussit pas à le calmer. Il pense qu’il est malade. Il lui tend la main pour l’inviter à lui montrer ce qu’il veut. Janmari l’entraîne hors de la maison, court vers une des portes d’entrée et pousse la grosse pierre derrière la porte. Puis il remonte se coucher. Ce soir-là, la pierre qui bloque la porte les soirs de grand vent n’avait pas été mise à sa place comme chaque jour (p.714).

Deligny insiste sur l’importance des mains (lire texte et image pp.742-743). Le geste travaille pour rien, les mains pour rien, l’eau pour rien.

Un corps proche peut faire repère (p.771). En 1974, avec la vogue des communautés thérapeutiques s’ouvre une intense période de production pour Deligny, sollicité par Isaac Joseph, sociologue. Il défend ses pratiques apparemment ésotériques et cultive son image d’inspiré, étranger aux considérations cliniques. Il revient sans cesse à l’espace, à l’importance des repères. Faire repère sans solliciter l’occupe. Les repères ne s’insèrent pas dans la fonction symbolique, selon Deligny (p. 1151) ; ils relèvent de l’a-conscient, de ce qui préexiste.

L’eau peut être préférée « qui n’exige pas l’existence de l’un » (pp.744-755). A l’origine du lieu de séjour des Graniers, il y a la découverte d’une source par Janmari. « Quand on a vu vivre un peu les enfants autistes, on s’aperçoit que l’eau a un pouvoir d’attrait, un attrait curieux dans ce sens que c’est pour rien. » (p.1759)

Qu’est-ce qui fait que, parmi les objets disposés autour des maisons, un évier de pierre, une table, un bâton, une pierre plate, etc. l’enfant autiste en choisisse un ? Nous ne le saurons jamais dit Deligny. Après tel dé jeté sur une pierre, Janmari part vers une nouvelle tâche. Il s’y décide ce qui est à faire sur le champ, dans ce coup de dé.

Deligny repère chez Janmari une mémoire qui n’oublie rien, jamais, de l’entrevu ni du repéré. Intéressé par la mécanique, il est capable de remettre en marche l’appareil de projection, là où les adultes y échouent. Bien sûr, Janmari sait des choses pour qu’il retrouve les sources, saisisse le fonctionnement d’un bassin ou se prête aux demandes d’un autre enfant proche, mais ce n’est pas à mettre au registre des « idées et connaissances », pas plus qu’à celui des affects (p.849).

Ce qui fait repère serait (le) Nous, ce à quoi nous sommes aveugles, et qu’un enfant autiste perçoit. Le but serait de permettre à l’individu d’exister, ne serait-ce que de façon intermittente et fugace (p.1146), et l’appareil à repérer est aussi subtil que l’appareil à langage.

L’autisme est, pour Deligny, le chiffre du coutumier, de l’agir sans intention, sans calcul, délivré du sens et du jugement, hors du réciproque. Mais quelle contrainte dans la répétition ! (p.1778)

Contrairement à Bettelheim, il voit dans l’autisme non pas les signes de la perte d’un monde commun mais les signes positifs de la persistance de l’humain, la vie, l’adresse, l’efficacité, les sens du commun et même la grâce (p.1482).

Les affects

Chez l’enfant autiste, l’émoi serait un mode de vie, qui oscille du désarroi à l’initiative (p.1167). Deligny se pose vraiment la question : d’où lui vient son point d’agir ? « De son point de voir s’élabore du coutumier tramé à fils sensibles comme une toile d’araignée qui s’accroche au repéré. » (p.1202). Par exemple, Janmari peut être complètement absorbé par le cérémonial du café dans une tasse remplie à ras bord, vraiment, et aspirer le trop plein de café alors que deux sucres tombent dans la tasse, puis il donne un grand coup de cuillère pour rapprocher les cristaux de sucre sans qu’une seule goutte ne tombe à côté (p.1203).

En 1975, la correspondance entre René Schérer, philosophe qui enseignait à Vincennes dans l’unité de valeur « Enfance-Errance », Isaac Joseph puis Deligny (pp. 918-927) éclaire la question relative aux affects et au sexuel dans le réseau, avec les enfants autistes. Schérer se dit irrité de la distance qui y semble admise envers « l’affect, le sexuel dans son expression littérale –soit de l’enfant, soit les investissements des adultes. » Il parlera ensuite de ravissement, de rapt possible.

-Pour mémoire, en 1982, Claude Sigala, directeur du lieu de vie « Le Coral », sera inculpé de pédophilie avec deux de ses collaborateurs. Deligny refusera de signer la pétition en sa faveur ; l’affaire se terminera par un non-lieu-.

Selon Isaac Joseph, il s’agit « moins de mettre le gosse à distance – il s’y tient – que de débrancher l’adulte. En aucun cas le gosse ne doit devenir son affaire ». Il défend la neutralisation du champ affectif et rappelle la fonction de la déconstruction, du vagabondage et de la transhumance afin de ne pas inscrire le réseau dans un code familial de remplacement. La transhumance, l’itinérance des enfants et adultes sur un campement pendant quelques jours, avait pour fonction de rompre le quotidien et de renouveler les façons d’agir et de faire de chacun. Là pouvaient aussi être observés les trajets des enfants autistes.

Les trajets

Le travail cartographique a commencé en 1969 dans des circonstances devenues légendaires : Jacques Lin, 21 ans, campe dans l’île d’en bas avec trois ou quatre enfants autistes ; un jour, pris d’angoisse et d’impuissance devant la violence de leurs comportements, il consulte Deligny ; celui-ci lui suggère, au lieu de l’inciter à parler, de transcrire les déplacements des autistes, un principe inspiré des séances dessin avec Yves G. en 1958, après dix années de maturation donc.

Il s’agit de transcrire les trajets des enfants autistes, soit sur l’instant, en suivant des yeux leurs déplacements, soit de mémoire avec la marge d’interprétation induite par la reconstitution. Les cartes sont ensuite collectées par Gisèle Durant et apportées à Deligny, qui ne quitte pas son atelier. L’image globale des premières cartes s’apparente à une résille, plus serrée là où les trajets se concentrent. Un vocabulaire naît de l’observation : lignes d’erre, chevêtres, nous autres là, Y, corps commun, orné, fleurs noires.

Les adultes des lieux de séjour se sont vite aperçu que parler les uns aux autres de ces enfants-là, entre eux, ne servait qu’à parler, rien d’autre. Mais il fallait relier les différents éléments du radeau, épars en plusieurs lieux. Comme sur un radeau précisément. Les lignes sont arrivées pour relater une démarche. Chacun dans ces lieux a ses habitudes, ses trajets, ses gestes, ses routines … De cet ensemble, une carte peut être tracée, la ligne d’erre désignant la ligne d’existence de l’enfant fou avec ses trajets, ses haltes, ses balancements. Elle mène à la recherche de ce qui émane du moindre geste d’un enfant, de ces gestes qui ne veulent rien dire.

Chaque matin, les permanents étudiaient les traces, la forme des détours, les coïncidences entre les trajets des adultes et ceux des enfants, les points où ceux-ci s’arrêtent, se balancent, l’effet sur leurs trajets d’un événement nouveau ou imprévu (p.798).

Deligny repère, en vivant avec des enfants, là, qu’ils ont des points communs : certains feuillettent un livre, d’autres battent les pages ; d’autres encore sont attirés par l’eau, certains se balancent à la croisée des chemins. (p.949)

  • Extraits du film Ce gamin, là, Minutes 18.45 à 20.40 (youtube)

En 1968, Deligny écrit à François Truffaut pour lui demander de l’aide et il évoque Le Moindre geste qu’il voudrait commercialiser. Truffaut prépare L’Enfant sauvage, adapté du rapport d’Itard. Il répond immédiatement, ce que Deligny lui dit de Janmari l’intéresse « infiniment ». Mais le projet de Truffaut n’intéresse pas Deligny qui inverse le point de vue d’Itard en faisant de Janmari le modèle de l’espèce humaine, inaccessible à la domestication symbolique. Ce Gamin, là est sa réponse à L’Enfant sauvage. Deligny a toujours défendu la nécessité d’une position politique face au médico-pédagogique.

Renaud Victor, plombier qui a suivi des cours de sociologie, d’ethnologie et de cinéma à Vincennes, était venu dans les Cévennes en avril 1972. Il avait un demi-frère mutique et Le Moindre geste l’a décidé à faire du cinéma. Il s’installe dans une maison à Monoblet avec sa femme et leur fils ; ils reçoivent deux enfants autistes en séjour. Le tournage débuta en mai 1973 et dura dix-huit mois.

La société des Films du Carrosse (Truffaut) prit en charge la production. Le film décrit un mode étrange, sans langage mais sans lenteur : les personnages, adultes et enfants, sont constamment en activité. Il montre peu de scènes collectives ; le « Nous commun » se vit à deux, l’enfant et sa « présence proche ». Le film ne raconte rien mais fixe des moments de vie du réseau. La vie de radeau : en compagnie de gamins autistes, de Jacques Lin (éd. Le Mot et le reste, Marseille, 2007) est la seule chronique de la vie du réseau.

Ce Gamin, là sortit sur les écrans la même année que Fous à délier de Marco Bellochio, illustration des thèses désaliénistes de Franco Bassaglia (L’Institution en négation) qui contribua en 1978 à la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Mais le film de Deligny est aussi silencieux et ritualisé que celui de Bellochio est parlant et intellectualisé. Le milieu du cinéma salua la beauté formelle du film de Deligny, le travail du son en l’absence de parole. La réaction des milieux spécialisés fut plus réservée. On ne comprenait pas. Qui étaient les éducateurs ? Comment expliquer leur silence ? Deligny répondait par courrier.

Renaud Victor meurt d’un cancer en 1991. A propos d’un film à faire est le dernier avatar d’un scénario tiré du conte La Voix du fleuve. Selon Deligny, il appartient à l’enfance d’entendre les voix de la nature « que nous n’entendions plus ». Le film ne fut jamais réalisé. L’image réitérée du radeau conduit le film, le radeau en tant que chose au sens du Parti pris des choses de Francis Ponge.

Conclusion intermédiaire

Alors quels risques aura pris Deligny en choisissant de telles enfances ? le risque de ne pas les protéger mais de créer les circonstances nécessaires pour que ces enfants vivent ; le risque de rendre vivant un réseau, de le tenir, par des cartes, du quotidien ; le risque de se positionner contre les modes, contre certains penseurs, de ses amis parfois ; le risque assumé de ne pas vivre avec ses enfants biologiques ; également le risque de l’écriture, jusqu’à l’hallucination.

2        Une tentative de trente années

« Prendre un gosse en charge », c’est le révéler au sens photographique du terme. Deligny s’appuie sur les écrits de Wallon, note les faits quotidiens (circonstance-réaction, dit-il)

« Je sais bien qu’il faut « protéger » l’enfance. Mais alors il faut prendre mille précautions, car lorsqu’un enfant franchit la marge, il est fort difficile de savoir s’il sort ou s’il rentre, si ce « franchissement » est une indispensable agression, un délit évident » (p.204)

21 Une position politique

Une infraction

Deligny cherche, élabore des tentatives, non pas tant pour s’opposer à des institutions que pour inventer, avancer vers l’inconnu en le façonnant. Le problème fondamental d’une tentative est d’exister en dehors des institutions et des appareils de manière structurée.

La position politique de la tentative consiste à ne pas passer d’un éclatement primordial –de l’existant, de l’enfermement proposé- à l’affirmation d’une identité –d’une définition, d’un modèle- (p.1213). A trop se définir ou être défini par les autres, le groupe perdrait en capacité de recherche et d’inventivité. Deligny en a fini cependant avec les institutions sociales ; son appareil « à repriser » est l’invention d’un milieu, avec son espace et ses repères.

Le verbe tenter de la tentative vient de temptare, « toucher, tâter », d’où « essayer de » et « attaquer, assaillir ». Confondu avec tentare, « agiter, inquiéter » au point qu’il est difficile de savoir ce qui appartient proprement à l’un ou à l’autre.

Tentative est emprunté au latin scolastique, « épreuve universitaire » de théologie chez Thomas d’Aquin. Ce sens vient de tentare mais celui d’  « essayer » se développe en droit tentative de vol, de meurtre. Ce contexte d’infraction influence l’emploi moderne du mot, souvent pour désigner un échec, beaucoup moins une réussite. Deligny aurait commis une infraction dans le champ éducatif, dans l’accueil de certaines enfances, pour leur éviter l’enfermement, il aurait brisé le règlement des institutions pour inventer des lieux viables pour des enfants autistes.

Les institutions

Dans Le Croire et le Craindre (1978), Deligny écrira qu’ « Une tentative n’est pas l’en-mieux de l’institution ou de la famille » (p.1117) ; le retour dans la famille doit rester possible après un séjour dans les Cévennes, avec un scénario revu par l’ensemble des acteurs. Trouver de la place et trouver une place, c’est toute la différence entre une institution et une tentative, dira-t-il. Dans le groupe, il n’y a pas de tête à tête avec les enfants mais un « interlocuteur interlocutable » (p.1185).

La position de Deligny entre les institutions, la famille et le devoir d’inventer, est de rechercher le lien dans un équilibre parfois précaire, déprimant, usant. Sa compagne de route est l’écriture. Il y aurait un parallèle à observer entre la quête, la recherche, la volonté d’échapper au langage, à l’institution, et l’écriture comme continuo. Ce qui fait lien, c’est l’écriture, ce qui formalise, étaye, consolide la tentative face aux questions, c’est l’écriture ; ce qui met à distance les affects et fausses pistes dans le collectif, c’est encore l’écriture.

Et quelques femmes tout de même, les trois mères de ses cinq enfants, quatre filles et un garçon, qui ne vivent pas avec lui. Deligny n’a pas vécu avec ses enfants, mais avec ceux des autres.

Si j’en parle aujourd’hui, c’est aussi pour revenir sur sa position, au sens de tenir une position, et sur le fait qu’elle m’a orientée, à vingt ans, vers le rejet de l’institution d’abord puis la création d’un lieu de vie, dix ans plus tard.

Dès l’âge de 20 ans, Deligny a mené une double activité d’écriture et d’éducation : et si c’était la même chose, avec l’écart comme condition de l’écriture et de l’éducation ? Avec l’asile, un monde se révèle à lui, antidote à la pensée universitaire dogmatique et abstraite : un théâtre, un vaisseau. Le labyrinthe qu’est l’asile servira de modèle anthropologique et institutionnel à ses futures tentatives, par sa complexité, par le refuge qu’il peut constituer.

En 1943, il obtient les clés de cinq maisons inhabitables dans les quartiers populeux de Lille, dont il fera l’amorce des foyers de prévention. Leur structure est celle que Deligny reprendra par la suite : une structure en réseau, ouverte, inscrite dans la réalité géographique et sociale des adolescents, avec une prise en charge assurée par des non-professionnels, issus du peuple comme les adolescents.

Une part du scoutisme a contribué à la reconnaissance de la jeunesse comme élément sociologique majeur, avec les CEMEA (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active) fondés en 1937. Deligny a été scout et éclaireur de France à la fin des années 20 et restait cependant un libertaire. Il affirme en1989, dans A propos d’un film à faire, que ceux qui veulent supprimer les institutions, les lois, et qui disent qu’on serait plus libres, ce n’est pas vrai. Il n’y a pas d’êtres moins libres que ceux qui n’ont pas de ON (p.1768).

Dans le dernier texte tapuscrit des Œuvres, en réponse à une enquête de 1980 menée par I.Joseph, Deligny compare l’institution à la Marine, une flotte de bâtiments bien ancrés qui ne risquent pas de bouger d’où ils sont, si ce n’est « sous le vent des idées en vogue ». Ceux qui entreprendraient une tentative en dehors de l’institution enceinte courraient un grand péril à se fier au vent de vogue, façon de désigner des idéologies dominantes. Lui fait le point en permanence pour ceux qui seraient tentés de rompre le pacte institutionnel.

L’esquive joue un rôle important dans la démarche du groupe. Un malentendu persiste entre ceux qui voyaient dans la tentative des Cévennes un mode perfectionné de gestion de l’espace et du temps de l’enfance, alors qu’il s’agissait de découvertes et d’exploration (p.1211). Le Croire et le Craindre, Autobiographie, 1978, est divisé en cinq chapitres portant les infinitifs Raconter, Esquiver, Permettre, Parer et Correspondre, la définition d’un programme.

Ceux qui passent (« les passants ») quelque temps dans le réseau sont perçus comme plus « difficiles » que le plus « difficile » des enfants en séjour (p.980). Pour eux, un travail s’impose pour dégager le vu de l’entendu, apprendre que le moindre geste opportun pèse plus qu’un tas d’idées. Les passants sont pris d’une grande modestie devant l’ampleur de la tâche à accomplir. Chaque déplacement a un but, chaque geste est important, chaque lieu a ses repères.

Deligny se montre néanmoins peu investi dans les questions administratives. L’agrément est remis en question malgré le soutien de Wallon et Le Guillant. De plus, Deligny refuse absolument le principe de l’expertise et de l’évaluation ; il refuse également les tests psychologiques. La direction communiste de la Grande Cordée se méfiait déjà de son insubordination idéologique et intellectuelle. Ses proches le surnomment Del ou Le Del.

22    Le réseau

Une dérive

La Grande Cordée (1948-1962), -le nom est emprunté au titre du livre de Roger Frison-Roche, Premier de cordée, publié en 1941- devient une légende de l’éducation spécialisée, que l’on pourrait présenter ainsi : Pas de lit, ni maison, ni foyer. Mais un réseau de séjours d’essai à travers toute la France, basé sur le réseau des auberges de jeunesse et tout autre lieu où un jeune pourra être accueilli avec la consigne de l’éjecter s’il devenait gênant d’une manière ou d’une autre.

En 1967, Deligny quitte La Borde avec Any, Vincent et Janmari pour Gourgas, une grande bâtisse achetée par Félix Guattari dans les Cévennes pour y faire un lieu de rencontre entre militants, intellectuels, artistes, ouvriers, et en confier l’animation à Deligny. Les autres membres du groupe le rejoignent. Jacques Lin renonce à son métier d’ouvrier pour vivre dans les Cévennes sans autre projet que d’accompagner un enfant autiste, comme il n’en a jamais vu.

Avec des enfants dits psychotiques, il ne s’agit pas créer une institution, fût-elle « ouverte », mais bien au contraire, écrit-il en 1974, du désir de « s’enfoncer, les uns et les autres, dans des modes de vie à notre convenance », d’observer comment la dérive intervient dans leurs manières d’être, leurs « moindres gestes » du fait de la présence de ces enfants-là (p.692 et suivantes). Plus loin, Deligny écrit avoir cherché « la trace de [leurs] usages harcelée par les trajets et manières d’être manifestées » d’un enfant. Ce seront les « lignes d’erre ».

Le quotidien de la vie du réseau apparait clairement dans le « Journal des lieux » inséré dans le n°2 des Cahiers de l’Immuable. Au long de l’année 1975, Monique Renaud, Robert Cassan, Jacques Lin, Jean et Dominique Lin témoignent avec exactitude et simplicité de leur vie de « radeau », les relations avec les voisins, l’arrivée de « passants », les contraintes matérielles, l’entretien des lieux, le soin des animaux, les travaux quotidiens, la vaisselle ; la transhumance qui constitue un événement important dans la vie des enfants et des adultes.

Il a fallu loger dans des fermes délabrées, toits ouverts, de la pluie à chaque orage : d’autres attitudes viennent alors à l’enfant, lui échappent. Il faut être ni soignant ni soigné pour avoir autre chose à y faire (p.706). A la limite, s’il n’y avait pas là d’enfants psychotiques, les adultes y vivraient la même vie, avec famille, jardin, bricolage… Deligny définit cette vie comme « un mode de relation hors fonction ».

L’éducateur, créateur de circonstances, se montre prêt à accueillir l’insu d’où naissent de nouvelles configurations. Les gardiens-éducateurs sont d’anciens ouvriers ou artisans, choisis pour leur savoir-faire, leur résistance physique et leur disponibilité. Deligny développe la métaphore du radeau, avec ses amis proches – Gisèle et Any Durand, Jacques Lin, Guy et Marie-Rose Aubert-, en admirateur de Conrad, Melville, Cervantès, Stevenson et Michaux. L’intérêt du radeau est que les paquets de mer qui lui tombent dessus passent à travers (p.1125). Le radeau de Deligny n’est ni circonscrit, ni susceptible d’être capté par quelque pouvoir administratif que ce soit, écrit Anne Querrien, historienne de l’école (p.1229).

Recréer un milieu

Dans les Cévennes, chacune des unités a accueilli entre deux et six autistes. A la fin des années 1970, une trentaine d’enfants vivent dans le réseau aux périodes des vacances scolaires. La plupart des « présences proches » sont d’origine sociale modeste, ont entre dix-huit et vingt-trois ans en 1973 et se chargent d’enfants autistes profonds sans en avoir la moindre expérience.

Les responsables des lieux éloignés de Graniers (de 15km environ) voient peu Deligny qui garde cependant une emprise sur des individus singuliers, fascinés par sa présence et sa pensée. L’organisation du réseau des Cévennes présente des analogies avec les sociétés primitives : l’autosubsistance, le refus de la circulation monétaire, la ritualisation du coutumier, etc. Le réseau vit de dons et non de subventions de l’Etat. Françoise Dolto, les Pink Floyd, les Chiffonniers d’Emmaüs de Nîmes sont parmi les donateurs. Le réseau vit dans une pauvreté forcée et choisie. A partir de 1972 ou 1973, Deligny exige des nouveaux arrivants qu’ils aient leur économie propre car les prix de journée étaient insuffisants pour les indemniser tous.

Cette première installation, vécue à quelques centaines de mètres de lui sans qu’il ne s’y rendît jamais, fut celle à partir de laquelle Deligny pensa le réseau, l’organisation spatiale des aires de séjour et les cartes. Ici encore, l’écart, la juste distance de l’observation et de l’écriture constituent son travail à lui.

Après dix ans avec Janmari, dans les Cévennes, Deligny perçoit ce qui fait territoire pour lui : des « retrouvailles incessantes et a-conscientes du déjà-vu dans le vu de maintenant », un même tissage que celui des rues parcourues à 9 ans ou 15 ans. Deligny tient aux repères, à leur pérennisation. « Veiller au filigrane, ça n’a rien à voir avec diriger » (p.1101) ; le filigrane, l’entrelacs d’éléments soudés qu’il s’agit de consolider en permanence.

Le thème même de leur démarche est d’aider le milieu d’origine des enfants mutiques qui viennent en séjour à recréer un milieu qui leur permette d’exister (p.1165). Non seulement Deligny ne prétend pas guérir ces enfants mais il mène un travail approfondi et régulier avec les familles, auxquelles il suggère d’adapter la tentative dans la mesure du possible, en veillant à la présence de nature, d’animaux, en prêtant attention à l’espace et aux gestes dans leur propre espace de vie, que l’enfant rejoint fréquemment.

Jusqu’au mythe et la parole hallucinée

Deligny abandonne dans les Cévennes toute forme de militantisme ; y compris les plus proches, au Larzac. Il s’attache à la recherche, sa tentative, strictement, sans les à-côtés. Il veille à la rigueur de la démarche, sans empêcher cependant une forme de dérive vers des propos hallucinés, à force de se répéter, à force d’évoluer dans un vocabulaire redéfini pour sa cause.

Parfois Deligny condamne l’habitude invétérée de parler mais il est nécessaire d’entrer dans son vocabulaire pour le voir évoluer dans ses tâtonnements, ses tentatives, ses essais et ses échecs. Cent fois ses écrits reviennent sur la parole et son omniprésence. Si les enfants accueillis sont privés de parole, c’est que leurs père et mère n’ont rien à dire car ce qu’ils vivent, mieux vaut ne pas en parler ; parler, ce peut être parler pour ne rien dire, l’être humain peut s’en contenter (p.757).

Il fallait relier entre eux les lieux distants de 5 à 15 km, veiller au quotidien ; un culte de la quotidienneté se met en place pour « horloger » l’espace, dit Deligny, c’est-à-dire essayer prévoir les événements dans l’aire de séjour (p.1128).

La psychanalyse s’occupe, selon Deligny, de la personne instituée. « C’est le boulot du langage de se prendre pour le créateur, de se vouloir à l’origine, comme tout mythe », écrit-il dans les Cahiers de l’Immuable 2 (p.932). Il manifeste souvent son opposition à des analyses publiées par des psychanalystes, il prend sa plume pour répondre aux articles ou aux livres, notamment dans les Cahiers de la Fgéri, revue de la Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles en1968.

Conclusion sur le réseau :

Petites unités permanentes, en marge, à cinq ou dix kilomètres les unes des autres. Les parents y arrivent exténués. Que cette tentative en marge soit prise pour une entreprise ou un organisme, qu’importe ! car « à force d’être pris pour, nous risquons d’être pris dans » ; si les adultes présents acceptent de correspondre aux souhaits de ceux qui envoient là leur enfant, il y restera logé comme il est pensé. Pour qu’autre chose arrive, il faut des repères, le recours de l’écriture aussi à sans arrêt remettre le travail sur l’établi, non pas à parler ces enfants-là mais à décrire la tentative. Et le publier dans la revue Partisans, (revue éditée de 1961 à 1972 par François Maspéro, de texte sur la théorie marxiste) pas dans une revue spécialisée de psychologie ou de psychiatrie.

23    Des traces écrites aux images filmées

Créer un vocabulaire

Deligny est enfermé dans son atelier-bureau ; il a des visions ; elles relient son écriture aux aires de séjour. La graphie manuscrite est fine, arachnéenne. Les mots concrets – mains, pain, éplucher, ragoût, l’eau, la peau, le doigt, le dé, la pierre- sont directement tirés du « coutumier ». Un vocabulaire s’invente pour dire la recherche en cours. Il écrit en permanence pour être publié mais surtout pour se déplacer ; échapper à l’instrumentalisation, rappeler que la recherche trouve le chercheur sur le terrain mouvant et fragile de l’expérimentation. (p.23)

Il prend ses distances par rapport aux intellectuels petits bourgeois des années 1970, rejette la psychanalyse et certaines utopies qui relèvent de l’antipsychiatrie, des communautés thérapeutiques ou d’un retour à la nature ; communiste mais antihumaniste, critique de l’institution, distant du gauchisme d’après 68, Deligny ne peut se définir sans une approche complexe, nuancée et mouvante.

L’aphorisme est sa formule de base ; il travaille le fragment, les bribes, copeaux, débris en référence à la fragmentation de la pensée autistique. En1966, Deligny voit, dans la rencontre avec Janmari, « encéphalopathe profond » le signe d’une humaine nature sans manque, jumeau de Victor de l’Aveyron, un individu inné, étranger à l’angoisse de la mort.

Deligny se demande si le fait d’écrire auquel il se livre volontiers est d’une autre nature que celle qui pousse Janmari à se faire prendre dans son balancer (p.722). Les cartes sont arrivées, elles, après dix ans passés en compagnie de Jacques, dit débile profond, qui répète à longueur de journée ce qu’il entend à la radio, des autres, ce qui lui revient ; pour dévaloriser complètement ce langage, cette manière qu’il avait de parler pour ne rien dire, tracer a été un recours.

Tout un vocabulaire est créé avec le tracer : l’horizontale c’est le fil des choses, la verticale, les adultes en tant que personne, le coutumier est noté par trois ^^^, l’effet de radeau ≠/ indique la surprise complète, etc. Le lancer de dé sur la pierre est un simulacre, c’est aussi une adresse. La pierre établit une distance entre la chose à faire et ce qui fait simulacre ; dans cet espace, il arrive que l’enfant prenne des initiatives. (p.934) A lire certains extraits, la proximité avec le style de Lacan vient à l’esprit (extrait p.914).

Le tracer, les objets, les simulacres sont là pour retenir les adultes de s’adresser aux enfants autistes et en même temps, indirectement, c’est une adresse. Dès que le simulacre a été perçu, il y a une tentation de domestication. S’il y a les crêpes, les chèvres à garder, la vaisselle à faire, le pain une fois par semaine, il se passe quelque chose. Les uns et les autres sont aidés par les cartes pour s’apercevoir qu’il y a la conjugaison de leurs efforts et qu’il y a autre chose, qu’ils ignorent (p.934). Sans arrêt il s’agit de maintenir ce qui fait événement, repère, et ce qui échappe.

Un réseau de repères et de cartes

« Les cartes ne sont pas des instruments d’observation. Ce sont des instruments d’évacuation : évacuation du langage, mais aussi évacuation de l’angoisse thérapeutique. » (Cahiers de l’Immuable/1), (p.847). (Carte p.1067)

Il défend l’idée de dérive, qui désigne le déplacement par lequel des ouvriers, paysans, étudiants, ont quitté une voie toute tracée pour se mettre en situation de recherche, et il nomme Janmari « inspecteur général des dérives ».  Deligny craint surtout que le réseau soit « investi, cerné, envahi » (p.856)

Le « corps commun » se définit comme un « réseau de repères et de traces qui s’étend entre l’un et l’autre, qui n’est ni l’un ni l’autre » (p.852). L’horizontale désigne le fil des choses, la verticale le « nous » en tant que personne. Le coutumier, le tapoter, l’effet de radeau, entrent dans le vocabulaire.

Les cartes permettent aux adultes de s’apercevoir que la ligne d’erre leur échappe bien qu’elles soient « aimantées par quelque chose » dit Deligny (p.949). Les enfants ont quelque chose de commun entre eux : feuilleter un livre, faire battre les pages, l’attirance pour l’eau, l’arrêt et le balancement devant une fourche de chemins. L’émoi est donc bien provoqué par quelque chose d’extérieur dans un lieu et à un moment donné, selon Deligny, d’où la nécessité de rendre plus fréquente la liaison entre les lieux. Il s’agit avec le tracer de faire apparaître tout autre chose que le senti.

Les cartes auraient été détournées (p.963) vers le déconcertant, soit la disponibilité à ce qui brise les routines et les disciplines, en quoi Deligny voit la définition même de la position libertaire du réseau. Selon Isaac Joseph, une position « de veille et non d’écoute, à côté et non derrière, veillant et non interprétant. » (p.970)

Les activités du coutumier consistent à aller à la source, puiser de l’eau à la fontaine, prendre le petit-déjeuner, préparer le repas, fabriquer un coffre, fendre et couper du bois de chauffage, etc. Chaque activité n’est perçue que comme repère. La figuration a disparu, les objets en tant qu’ils peuvent être nommés ont disparu, remplacés par une combinaison de deux signes de son propre « tracer » : le cercle et le bâton.

Une vocation à l’image

Deligny raconte la « vision » qui serait à l’origine de sa conception de l’image voire de sa vocation (p.1719) : une petite fille de cinq an émerge d’un terril d’immondices fumants avec, sur la tête, une suspension de verre entourées de pendeloques de perles de verre, une couronne d’impératrice.  La tentative des Cévennes est peut-être la mise en œuvre de la vocation à l’image à laquelle Deligny a cru après la vision (p.1784) ou elle est une œuvre d’art faite des fils entrelacés de ceux et celles venus le rejoindre (p1786).

Sur le premier plan de à propos d’un film à faire (1989), se confirme la proximité de l’image et de l’autiste : ils ne disent rien (p .1758). L’image comme accès à une permanence biologique, antérieure à l’exercice de la conscience, infra-linguistique (p.1777). L’environnement du chercheur, ses centres d’intérêt sont peu à peu frappés du sceau de l’autisme. Il dira aussi dans un enregistrement de 1987, « Janmari est par-delà le langage, il pense en images ; il faudrait extirper les images de la cervelle de Janmari pour faire un film » (p.1749). Janmari fut l’incarnation de la vraie image, qui apparait, ne représente rien ni personne, qui n’a pas besoin d’être vue (p.1778). La vera iconica, la véronique de Deligny.

Que guette-t-il dans ses films ? le regard des gens ? un retour à la terre ? un retour à quoi ? Un intérêt pour le défaut du langage, à traquer le réel qui s’élaborerait d’une réalité propre à l’humain ? (p.1037). L’œil photographique permettrait, selon Deligny, d’échapper à l’égocentrisme tyrannique de notre vision personnelle.

24    Quelle pérennité ?

Le « delinysme »

Pour qu’un enfant psychotique arrive là, où visiblement aucun règlement n’est respecté, il faut bien que quelqu’un en ait pris le risque (p.775). Deligny ne définit pas les adultes du lieu comme des novateurs, « déserteurs de la fonction sociale » mais comme « des parias », des « rien du tout » p.804). L’institution, notamment la scolaire, tourne en rond, un effet de la fonction même de l’idéologie, dit-il. Les tentatives qui s’élaborent -dans les écoles parallèles par exemple- devraient s’appeler tangentes (p.1190).

Face à la réflexion des années 1975-76 sur l’enfant victime des institutions et de la famille (voir les travaux de Foucault, Dolto, La Police des familles de Jacques Donzelot en 1977), Deligny se démarque de cette dramatisation en insistant sur le rôle des parents dans la recréation d’un milieu naturel et collectif (p.802). Il travaille avec eux pour pérenniser le travail accompli dans les Cévennes.

Mais il faut se méfier de la définition de ce travail. Le premier numéro des Cahiers de l’Immuable met en avant la manière dont Deligny échappe au discours pédagogique par un autre langage de la tentative qui doit rester telle, aussi innommable que l’autiste lui-même (p.847).

« Le fin mot d’une tentative est peut-être de ne pas se battre contre, mais de prendre le plus de distance possible, quitte à signaler sa position. » (p.857), sa position politique s’entend.

L’objectif ne revient-il pas à ce que fait la psychanalyse qui lit aussi des signes ? Ce serait alors compter avec le « réciproque », or,  « C’est de cette désinvolture envers le réciproque qu’il nous faut sans cesse repartir » (p.963).

Pérenniser la tentative signifie susciter un réseau ailleurs, à partir de ce qui se trame dans celui-ci, un mode d’existence nouveau, un « travail » à élaborer dans la famille, dans les autres lieux que fréquente l’enfant (p.1015).

Lorsqu’Isaac Joseph mène ses enquêtes à Lyon dans les services psychiatriques, il part de trois données : l’existence d’un courant, le « delinysme » ou référence à Deligny dans les effets discursifs et les pratiques ; la critique de l’approche formelle et analytique de la psychiatrie ; le refus de la rupture définitive avec l’institution et la recherche des « points de rupture » (p.1475). Il ne trouvera pas trace de « delynisme » dans les services psychiatriques.

Dans Les Détours de l’agir ou le Moindre geste (1979), Deligny fait un sort à l’humanisme ; « l’humanisme porte en lui-même les fascismes, totalitarismes, et tous les désastres de civilisation » dit-il (p.1249). L’agir l’emporte sur le faire où domine l’intention, qu’elle soit consciente ou inconsciente.

Deligny se voit en homme préhistorique, travaillant les traces de l’humain, étudiant la pierre comme élément primordial des Cévennes hercyniennes. Le tracer, l’agir, l’humain spécifique opposé au sujet advenu dans l’expérience du stade du miroir, trouvent un écho dans le travail de Leroi-Gourhan.

Ma dérive

La dérive dont parle Deligny n’est ni existentielle ni situationniste, elle désigne le déplacement par lequel ouvriers, paysans, étudiants ont quitté une voie toute tracée pour se mettre en situation de recherche. (p.804), dérive que j’ai trop bien entendue.

Dix ans plus tard, le lieu, ancré pour moi au milieu de la forêt landaise, au bord d’une rivière accueille deux enfants en permanence, quatre le weekend. (Lire p.980) La même difficulté à recruter des passants s’impose après dix-huit rencontres, accueils, présentations sur place. Les conditions ne conviennent pas, les adultes sont peu payés pour être présents auprès des enfants, ou pas pendant les congés.

J’ai trop bien entendu la rupture nécessaire. « Une tentative est un fait politique bien particulier et qui doit s’attendre à se défendre tout seul –même et surtout si un peu partout, tout un réseau lointain de partisans y veille. Les novateurs sont des dévoyés, des déserteurs de la fonction sociale » (p.1001). Exactement ce qu’il m’importait d’incarner à vingt ans.

Ce gamin, là : le film est projeté en janvier 1976. Filmer ceux qui manquaient à l’appel, sur leur lieu de travail (p.1038), je l’entends trop bien. Echo que je prends au pied de la lettre, car j’enchaîne les « mises en disponibilité » d’une voix. Peu après la sortie commerciale du film Ce Gamin, là en janvier 1976, les 3 et 17 mai, sont projetés sur la première chaîne de télévision les entretiens avec Michelle Porte avec M. Duras, pour le film « Les lieux de Marguerite Duras ». L’écrivaine y évoque Lol V.Stein comme « un lieu hanté ». La voix de Deligny, la voix de Duras se rejoignent. Ravie, je suis ravie au sens fort, il s’agit d’un rapt là aussi. Je pars pour quinze année d’errance, me mets en disponibilité de l’Education nationale en février 1976 et, en 1986, je vis avec des enfants aux lieux de vie Le Pied de nez puis L’Echelle Beaufort.

« C’est pour dire qu’une tentative, c’est dehors. Bien sûr il y a des maisons dans les tentatives, mais c’est jamais la rentrée. C’est dedans que le sujet s’élabore, dans toutes les formes d’institutions possibles. Il s’agit d’esquiver la rentrée » Le Croire et le Craindre, 1978 (p. 1095). Pour moi aussi.

Alors quels risques aurais-je pris en me lançant dans ce lieu de vie ? D’abord celui de ne pas convenir aux enfants, de ne pas les voir heureux ; mais non, pour moi qui étais en cuisine, des résultats spectaculaires vont montrer des appétits habitués au poulet-chips se convertir au bout de six mois au foie gras, aux huîtres et au saint-honoré. Risque de ne pas être comprise par mes proches ? Question d’habitude. Risque de ne pas savoir créer un collectif ? En effet.

Ensuite étudions les risques encourus : celui de me trouver « provoquée », mise en cause par la violence de certains enfants. En effet, c’est ce qui m’a fait demander une analyse à l’analyste qui suivait le travail du premier lieu d’accueil où j’ai travaillé. Autre risque encouru, à mon insu, les 5 années du lieu de vie qui ont compté double dans ma perception du temps professionnel, ne seront reconnues que 4 trimestres pour 5 ans d’activité à la retraite, ce qu’une loi ne modifiera qu’en 1990. Le législateur a fini par considérer que le travail d’une assistante maternelle 24h sur 24 auprès d’enfants autistes ou psychotiques dans un lieu de vie vaut reconnaissance d’un temps plein.

Conclusion

L’enquête menée par Isaac Joseph en 1979 et 1980 dans les services psychiatriques de Lyon révèle une incompatibilité à peu près complète entre le « delinysme » et les approches institutionnelles, due notamment à la difficulté de Deligny à parler des pratiques du réseau. Deligny reste le point de repère un peu magique de courants qui lui inspirent la plus grande méfiance.

Il inspire malgré lui des pratiques dans lesquelles il ne se reconnait pas. En 1985, il écrit Lettres à un travailleur social dans lequel il appelle à considérer l’éthologie, à repérer plutôt que comprendre, à respecter l’énigme. Mais ces textes restent inédits. L’écriture de Deligny est, depuis toujours, inspirée des situations éducatives, de l’  « expérience » définie par Walter Benjamin comme la « matière première » du récit de tradition orale (p.1586).

Selon Tosquelles, le débile mental n’a pas besoin d’une prothèse sociale ni d’une greffe d’intelligence pour reprendre ses mots dans la revue Esprit en 1965, mais d’une « reprise existentielle ». Créer les circonstances d’une reprise existentielle pourrait assez bien dire la tentative de Deligny et du réseau.

En 1996, les conversations avec Thierry Garrel et Nadejda sont à l’origine de l’écriture de L’Enfant de citadelle, dont les trois mille pages de format A3 se trouvent sur la table de Deligny, soigneusement classées, à sa mort, le 18 septembre 1996. Vingt-six versions de l’ouvrage y sont proposées, toutes inachevées. L’Enfant de citadelle est une gigantesque entreprise de remémoration et de fiction mêlées sur le fond imaginaire de la citadelle Vauban de Lille. Deligny est né à Bergues dont les fortifications ont été construites également par Vauban (p.1755).

Les multiples voix de sa mère Louise, anarchiste, y résonnent ; elles anticipent la polyphonie des psychotiques de l’asile, d’Yves G. plus tard.

Après la mort de Deligny, Janmari revient chaque jour à la même heure lui rendre visite alors qu’il n’y est plus. Dans un enregistrement de 1987, Deligny disait : « Il n’y a pas de Janmari. Janmari est un fantôme. Il y a de notre part une pression qui le maintient dans l’état où nous le voyons. Janmari n’existe pas. Il ne peut supporter d’être contraint à être l’autre. » (p.1755)

Le secteur social a adulé Deligny sans lui donner pour autant la place qui aurait dû lui revenir dans la culture du milieu. Deligny s’inscrit dans une double référence à l’histoire politique et à l’histoire des idées (cf. les travaux de P.F. Moreau, plus récemment ceux de Catherine Perret). Son combat se situe sur le terrain des idéologies de l’enfance, pas sur celui des idées éducatives. Il s’agit des idées mises en œuvre concrètement, dans un contexte institutionnel historique donné.

Certains ont reconnu que les tentatives de Deligny relèvent d’une pratique matérialiste dans un secteur où, le plus souvent, seules des variantes de l’idéologie dominante ont cours. Deligny a aidé à la compréhension et au traitement social et éducatif de la délinquance. Il aura montré la fragilité et la réversibilité des milieux de la protection de l’enfance.

Sur la question de la professionnalisation des éducateurs, Deligny se situe à l’écart du secteur social. Son œuvre tourne le dos à l’ingénierie éducative et reste à distance de la régulation judicaire. La question centrale de sa tentative est comment se construit la personnalité de l’enfant dans un moment historique donné, normé et normalisateur ?

Dans « L’inactualité de Deligny », Sandra Alvarez de Toledo, éditrice des Œuvres, présente l’asile d’Armentières comme son île, le lieu d’une seconde naissance et d’un exil intérieur définitif, la condition de l’écriture, le modèle institutionnel et spatial de ses futures tentatives (p.21). Deligny serait resté marqué par l’irresponsabilité profonde de l’aliéné, son incapacité à faire valoir ses droits et le flottement qui s’instaure sur son statut de personne. Du contexte créé par des intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle, il retient et développe ce qu’on pourrait appeler une pensée métaphorique de la discontinuité.

Brigitte Riéra – novembre 2022

Deligny, F. (2007/2017) Œuvres. Edition établie et présentée par Sandra Alvarez de Toledo. Editions L’Arachnéen.

Lamy, C. (15 .02.2022). « Lire Fernand Deligny pour repenser l’inclusion scolaire ? ». CET

Perret, C. (2021) Le Tacite, l’humain. Anthropologie politique de Fernand Deligny. Librairie Mollat.

Tardits, A.  (2018) « POSITION(S) DE FERNAND DELIGNY. À propos du livre Fernand Deligny. Œuvres ». Érès.

https://www.cairn.info/revue-essaim-2008-1-page-213.htm

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