Lors des réunions institutionnelles est souvent énoncé, au sujet d’un enfant ou d’un adulte dit difficile, que ce dernier serait « intolérant à la frustration ». Diagnostic, sinon sentence, censé désigner une forme d’incapacité à accepter les incontournables insatisfactions que le quotidien impose à tout un chacun et que les personnes dites normales sauraient, elles, accueillir avec philosophie.
Les « cas difficiles » posséderaient donc le monopole de l’intolérance à la frustration. Croise-t-on pourtant beaucoup d’enfants prêts à accepter benoitement qu’on les prive de dessert ? Imagine-t-on un amant, éconduit par celle qu’il courtisait, s’en retourner chez lui les mains dans les poches et le sourire aux lèvres ? Si des exemples existent dans les deux cas de figure, on peut s’interroger sur le prix et les conditions de leur assentiment. Et considérer qu’une trop grande tolérance à la frustration pourrait s’avérer inquiétante pour le sujet. N’est-ce pas une caractéristique pour le moins répandue que de réagir avec vigueur, sinon avec une certaine violence, aux désagréments de nos désirs contrariés et des contraintes du vivre-ensemble ?
En outre, qu’ils se soumettent avec plus ou moins de souplesse aux règlements (interdiction de téléphone portable, horaires fixes des repas, vifs encouragements matinaux pour le lever etc.), qu’ils prennent des traitements médicamenteux avec lesquels ils sont plus ou moins en accord (et au sujet desquels ils sont plus ou moins informés) ou même qu’ils acceptent des soins sous contrainte, les usagers de la psychiatrie ou des établissements médico-sociaux sont souvent de grands spécialistes de la frustration.
Cependant l’intolérance, comme la frustration, ne sont peut-être pas toujours là où on le pense. Dans des services où les modalités d’accompagnement sont conçues pour le sujet (et donc pas avec lui) et où la normose de certains professionnels n’est jamais bien loin, il se peut que ce soit le soignant qui devienne intolérant à la frustration face au patient qui rejette les schémas plus ou moins étriqués auquel il est tenu de se soumettre.
Est-ce à dire qu’il revient au corps médical ou au travail social de répondre avec promptitude aux désirs des personnes accompagnées ? Ou que toute règle susceptible d’induire de la frustration serait injustifiable ? Aucunement. Néanmoins, ne pas considérer ladite intolérance à la frustration comme symptôme omni-explicatif ou relevant d’un diagnostic psychopathologique peut amener à éviter certains malentendus et invite au glissement de la prise en charge (de difficultés), vers la prise en compte (de caractéristiques).
Sébastien Bertho – novembre 2015
Je rejoins pleinement le raisonnement. Je me vois encore brandir ces arguments quand je me suis trouvé en difficultés , avec le reste d’une équipe , face à des jeunes qualifiés de « difficiles », enfin surtout « difficiles à aider ». Le ou la jeune en question, du coup, n’avait plus sa place, devait être réorientée vers une structures qui serait plus adaptée à sa problématique. Sauf qu’avec le recul ces structures « magiques » qui arriveraient la ou les institutions échouent n’existent que dans les contes, et encore …
La clinique transdisciplinaire nous aurait fait le plus grand bien …