Sous ce titre, Le Monde (25.03.2012) proposait une analyse des récents événements de Montauban et Toulouse. Ce, au beau milieu de la déferlante médiatique qui a accompagné, pardon qui a inondé ces événements, surinformation non exempte de tergiversations diverses et d’opinions aussi définitives qu’imprécises. Sans trop d’efforts, chacun a pu apprendre beaucoup de choses sur ce qui s’est passé, – quoique pas forcément l’essentiel… D’où l’intérêt de s’attarder sur l’analyse citée.
Si les actes posés par Mohamed Merah relèvent du fait divers, ils concernent les dispositifs de surveillance et de répression (contrôle, fichage, police, gendarmerie). Leur qualification s’avère on ne peut pas plus évidente : intégrisme terroriste et tueries dont l’auteur est unforcené. Tueries il y a eu, bien entendu, et aussi un forcené puisqu’il a résisté les armes à la main. Quant à l’intégrisme terroriste, ce n’est ni impossible ni non plus effectivement attesté. Autrement dit, les indices ne manquent pas, mais les interrogations non plus : deux séjours en Afghanistan, entrainement paramilitaire, déclarations dudit forcené que celui-ci ne pourra plus confirmer ni infirmer, interrogatoires policiers qui n’ont pas détecté de militantisme concluant, affiliation subjective à une mouvance intégriste que celle-ci ne semble pas revendiquer… De futures enquêtes éclairciront peut-être ces points obscurs.
N’empêche que la disjonction peut laisser perplexe. Pourquoi fait divers ou fait politique ? Si la cavalcade désespérée et désespérante de Mohamed Merah se termine en fait divers, en quoi n’est-ce pas aussi et-ou plutôt un fait politique ?
Grosso modo, un fait est dit divers quand, commis par un ou plusieurs individus guidés par leurs seuls intérêts, il porte atteinte aux biens, voire à la vie d’autrui. Le même fait commis par le même auteur et touchant les mêmes victimes est dit politique quand il devient difficile d’escamoter la condition sociale des victimes et des bourreaux, de sous-estimer leurs places actuelles et leur devenir éventuel, ou encore de négliger les idéologies sous lesquelles les uns et les autres agissent, les configurations psychiques qui les gouvernent. Dès que des enjeux de société sont explicitement en cause et l’histoire sociale manifestement convoquée, dès qu’il se fait jour plus et autre chose que la seule historiette personnelle et familiale et ses circonstances aggravantes et/ou atténuantes, – le fait se voit accrédité du label politique.
Cette accréditation relève du labeur des commentateurs officiels et officieux, qui consiste à forger l’appellation socialement légitime, celle d’après laquelle le fait devrait être enregistré et traité par la mémoire individuelle et collective. Cette accréditation est un dispositif de mise en sens du réel, et non une simple étiquette : selon l’appellation mise en circulation, l’horreur n’est pas analogue, ni son vécu exactement pareil, victimes et bourreaux présentent des statuts chaque fois particuliers, des traits et des dimensions ad hoc… Même les photos des journaux ou à la TV, y compris des forces de police, n’apparaissent pas sous une lumière identique.
Moralité : s’intéresser aux événements engage à se demander comment leur narration, leur appellation, leur qualification sont construites, comment ces événements nous sont servis, à quelle déconstruction ou en revanche à quelle occultation nous collaborons selon notre déchiffrage des appellations en cours. On peut être informé (des faits) sans forcément en savoir grand-chose (de leur logique, de leur sens) : de quoi alors est-on précisément informé ?
Exemple a contrario : Le Monde (06.04.2012) relate l’émotion générale provoquée par le suicide d’un retraité grecque, en l’expliquant comme « un suicide très politique » !
Saül Karsz – Avril 2012