Les séances d’analyse des pratiques professionnelles sont utilisées par des équipes d’intervenants sociaux pour évoquer préférentiellement des situations d’accompagnement qui les questionnent et les mettent mal à l’aise, les embarrassent, leur semblent être des impasses. L’intervention sociale n’est pas une sinécure aujourd’hui pour les professionnels – si tant est qu’elle l’ait été un jour. Les publics sont en effet accompagnés parce qu’ils sont censés avoir des problèmes qu’ils ne peuvent affronter seuls. Lesquels problèmes deviennent en partie ceux des professionnels accompagnants …
Viennent parfois sur le devant de la scène des récriminations concernant les modalités de travail, les types de management ou encore des dissensions entre collègues et/ou avec des chefs de service. Un cahier de doléances se met virtuellement en place : « les conditions de travail se dégradent », « nous n’avons plus les moyens d’accueillir nos publics », « les cadres dirigeants ne tiennent pas compte de ce que vivent les acteurs de terrain », « On ne peut pas travailler de cette façon » etc… Tantôt sur le mode de la nostalgie (ce n’est plus comme autrefois), tantôt sur celui du mécontentement voire de la souffrance (je ne viens pas travailler avec plaisir) qui s’expriment sur le registre de la plainte (impossible de bien travailler dans ces conditions). Ces doléances peuvent hypothéquer, voire escamoter, une réflexion sur les pratiques d’accompagnement des usagers, notamment quand elles prennent le pas sur ces dernières.
Or, ces discours sur le mode de la plainte et de la récrimination adressés au consultant font partie intégrante de l’analyse des pratiques qui a à tenir compte du rapport imaginaire ou réel des professionnels aux conditions de travail. De telles plaintes et récriminations ont des raisons objectives tant l’évolution des pratiques est soumise à des injonctions néolibérales de plus en plus féroces. Comment les travailler ? Que disent-elles des pratiques des professionnels ?
Ces discours, parfois lancinants, sont peu aisés à appréhender pour le consultant s’il les prend pour des freins et des empêchements à décrire des pratiques avec les usagers, comme un refus d’obstacle de la part des praticiens, soit une résistance à travailler ce qui arrive aux et avec les publics accueillis. Poser la plainte d’une équipe en tant que symptôme à éradiquer, soit un obstacle ou un travers, s’apparente à un diagnostic quelque peu hasardeux : le consultant se plaint de la plainte, surtout quand il ne sait qu’en faire ou qu’il la considère comme hors propos ! Or, tout discours dit quelque chose de ce qui se joue dans les rapports à la hiérarchie, les relations entre collègues et également avec les usagers. Ces derniers ne concentrent pas toutes les difficultés ; les professionnels en ont leur compte et le consultant également ! C’est ce qui fait qu’on a à faire non à des cas (tel usager présente tel problème) mais à des situations (dans lesquelles sont pris les accompagnants – et le consultant dans la manière qu’il a de les travailler). Du côté de ce dernier, l’embarras qu’il éprouve face à des propos qu’il juge péjoratifs de la part des professionnels peut mettre en exergue un sentiment d’impuissance, miroir d’une toute-puissance tout aussi imaginaire.
Toute thématique abordée et apportée par les participants aux séances d’analyse des pratiques est propice à une élaboration rigoureuse. Encore faut-il laisser le temps au discours de se former, aux praticiens de s’interroger et au consultant de comprendre ce qui se joue aussi pour lui. Enjeu : contribuer à quelque lucidité sur les pratiques d’accompagnement en cours.
C’est cette dialectique d’enseignement réciproque et d’apprentissage qui est travaillée lors des ateliers cliniques proposés une fois par mois par le réseau Pratiques Sociales. Ateliers ouverts à toute personne intéressée sur inscription préalable[1].
2 Renseignements : pouliquen.joel@free.fr (coordinateur de l’atelier) et sur www.pratiques-sociales.org .