Conversation XIII – 2ème Conversation sur le consentement – avec Marie Romero, sociologue – consultez l’affichette de présentation
Février 2021, l’affaire Duhamel a suscité en France une vague de témoignages de victimes d’inceste et de violences sexuelles alors qu’elles étaient mineures. Dans le sillage de cette affaire et de #MeTooInceste lancé sur les réseaux sociaux, un climat d’indignation et de colère a émergé sur la question du consentement du mineur : pourquoi il n’existe pas dans la loi un âge légal de non-consentement ? Un mineur qui se laisse faire, qui n’oppose pas de résistance à son agresseur, qui ne parvient pas toujours à le dénoncer, peut-on dire qu’il consent ? Se taire, se soumettre ou céder, est-ce consentir ?
L’hypothèse sociologique que j’explorerai est que ces débats sur le consentement ne se limitent pas à une attention croissante aux violences sexuelles sur mineurs, mais révèlent le poids des métamorphoses en cours en matière de partage du permis et de l’interdit sexuels. Les questions inédites posées par l’âge du mineur, son consentement, seront analysés au prisme des évolutions sociales et juridiques depuis le XIXe siècle jusqu’à l’adoption de la loi du 21 avril 2021 qui a fait entrer un âge légal de non-consentement.
Conversation via Zoom – inscription gratuite – lien disponible sur inscription quelques jours avant la Conversation.
A propos de la Conversation XII du jeudi 20 mai, plusieurs articles :
Consentement, abus, emprise, comment s’y retrouver ?
« Pour aborder la question du consentement sexuel, nous prendrons appui sur les deux témoignages de Adèle Haenel et de Vanessa Springora. Dans ces deux exemples, s’il y a eu consentement, c’est au prix de l’abus, mais un abus voilé par l’emprise de la parole. Nous interrogerons cette dissymétrie entre perversion et consentement, entre la domination sexuelle et la parole d’amour. Nous réfléchirons à ce que la notion de consentement masque, et plus généralement en quoi le consentement n’a pas de sens univoque dans la clinique des relations sexuelles ». Hélène Bonnaud – mai 2021 – à lire également : Hélène Bonnaud, Monologues de l’attente, Lattès, Paris 2019.
Ambiguïté, complexité, polysémie
Consentir, dire « oui » ? Mais à qui ? On dit oui librement ? De façon éclairée ? En totale autonomie ? Quand quelqu’un con-sent, le fait-il par amour ? par désir ? par devoir, par commandement surmoïque, donc contrarié ? Mais à quoi ? A une offre ? à une sollicitation ? A une présence, même… virtuelle ? La supposée demande, d’où vient-elle ? D’un possible partenaire ? De nous-mêmes ? A notre insu ?
D’emblée, l’écart entre le oui et le consente-ment. Supposer, ensuite, qu’on est libre de donner son consentement relève d’une bévue, surtout si on entend le faire de façon éclairée ! L’aveuglement de l’amour, l’idéalisation et la soumission qui va avec ne donnent guère de lumières pour cerner avec quel degré de liberté, d’autonomie et de savoir le sujet devient apte à con-sentir à une relation sexuelle. Et cela à n’importe quel âge !!!
Le consentement n’est jamais sans conditions. C’est plutôt un « oui » avec des nuances : « oui, mais… » , « oui, mais pas tout de suite… », « oui…peut-être ». Le « non » n’est jamais très loin. Il y a encore la question : l’amour donné par le soi-disant consentement est-il réciproque ? Les amants se désirent-ils avec le même senti-ment ? Cherchent-ils le même but/finalité ? Sont-ils d’un même sentiment [cum-sentire en latin] ? Sans se sentir sous la domination du partenaire qui peut demander plus de sexe, plus de désir et de jouissance et moins d’amour, ou tout le contraire ?
Vanessa Springora, Le consentement (Paris, Grasset, 2020)
Pour l’auteure, cela a été le piège de toute sa vie. Elle s’en sortira : d’une part, «la psychanalyse m’a sauvé la vie », dit-elle, et d’autre part l’écriture de son livre : « libération totale : d’abord de l’avoir écrit, ensuite qu’il soit publié, et enfin qu’il soit lu et relu avec un tel enthousiasme. ».[1]
L’objet du livre : à la fois la rencontre amoureuse avec G., écrivain de 50 ans, et comment s’en défaire une fois qu’il ne voulait plus d’elle ? « J’étais très amoureuse de lui et je l’étais d’ailleurs toujours au moment où je l’ai quitté »,[2]… Quand « j’essayais de parler à mes proches la réponse jaillissait toute prête : quand même tu étais consentante ! Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? »[3]. Elle a entretenu cette relation entre ses 14 et ses 16 ans et fait sa connaissance un ou deux ans avant par l’intermédiaire de sa mère. Mais de qui Vanessa était-elle « très amoureuse » ? De l’homme, de l’écrivain reconnu, dont elle attendait le soutien pour son projet de devenir écrivaine ? D’un substitut possible de la figure d’un père dit « absent et tyrannique ?” Ce soi-disant consentement nous paraît déjà suspect, à questionner tant la dimension de l’inconscient toujours à l’œuvre fait des siennes. Pour Vanessa Springora comme pour toute adolescente, la demande d’un consentement supposé « libre et éclairé » ne relève-t-il pas de l’absurde ?
Marga Karsz-Mendelenko – mai 2021
[1]Ornicar ? numéro 54 : Consentir – entretien avec Vanessa Springora p. 180.
[2] Ibid, p. 179
[3] Le consentement, p. 163
Le nœud impossible du consentement
La Conversation XII du 20 mai 2021 a permis d’entendre Hélène Bonnaud, psychanalyste, parler d’« Emprise et consentement » puis échanger avec les participants à distance.
La question du consentement, dit-elle, est prise dans le nœud de la relation entre un homme et une femme, un homme et un homme, une femme et une femme, notamment. Ce nœud peut nous interroger, surtout lorsqu’H. Bonnaud ajoute que le consentement n’est pas en jeu dans l’amour mais qu’il touche à la relation sexuelle. Un nœud serait donc la figure du consentement dans la relation sexuelle entre un homme et une femme. Car cette relation nécessite que les deux soient d’accord.
Le verbe consentir, cum-sentire en latin, signifie « être du même sentiment », « être d’accord » d’où le sens d’« accorder ». En droit, il est transitif au XVIIème siècle ; on consent quelque chose à quelqu’un. Si l’on consent, suivi d’un nom concret ou abstrait dans l’usage ancien et classique, l’usage moderne utilise surtout la voix passive en mettant en relief le destinataire. Le voici devenu cible de la demande de consentir afin que se noue un nœud impossible au sens où l’on dit d’un enfant qu’il est impossible, turbulent. Un nœud turbulent s’apprête à malmener les partenaires à la veille de la relation sexuelle.
Qu’en est-il donc de la demande dans la relation sexuelle ? Qui formule la demande et qui en est le ou la destinataire ? C’est d’importance dans l’installation de la relation qui suppose que les deux partenaires soient d’accord –le consentement scelle leur accord- même si les deux ou l’un des deux ne sait pas complètement sur quoi ils sont d’accord.
Le consentement, déjà là au XIIème siècle, désigne l’action d’acquiescer à quelque chose, dans le domaine moral, intellectuel et dans la cérémonie du mariage. Monsieur Untel, Madame, consentez-vous à prendre pour époux, épouse… « Acquiescer » sera transitif lui aussi en ancien français. Curieusement, la notion de repos se loge dans ad-quiescere où l’on reconnait « quiet » et « coi ». Si l’on peut se reposer sur quelqu’un, c’est que la confiance est là. Consentir, dans la relation sexuelle, serait-ce rechercher le repos et la paix par la jouissance ?
Un peu plus tard, H. Bonnaud affine son propos ; il s’agirait de « consentir à cause de quelque chose qui est plus fort que moi et qui m’empêche de dire non ». Il y aurait donc de la négation à consentir dans la relation sexuelle. La grammaire peut nous venir en aide dans cette affaire. Soit la phrase : « Je crains qu’il ne vienne » qui peut être entendue de deux façons : « Je crains qu’il vienne » et « Je souhaite qu’il ne vienne pas ». Ce ne dit explétif, étymologiquement « qui emplit, qui comble », n’est pas nécessaire. Cependant, son emploi laisse planer une nuance de négation. « Je crains qu’il vienne » est limpide. « Je crains qu’il ne vienne » en dit un peu plus du côté du refus.
Que dit le consentement, pris dans le nœud de la relation homme/femme, de la négation qui flotte entre les partenaires sans que l’un ni l’autre n’ose dire non ? Il chuchote « ce-qu’on-sent-te-ment », murmure « je crains qu’il/elle ne vienne » et suggère Mignonne allons voir si la rose ou l’eros mène au repos de la jouissance sexuelle. H. Bonnaud dit qu’elle est « toujours solitaire et [que] l’amour y supplée, selon Lacan ».
Peut-être faudra-t-il ressortir les ne explétifs, redire que le désir sexuel a bien des zones opaques auxquelles touche le consentement, que ce n’est pas un hasard si la question du consentement se pose dans un monde normalisé qui donne son consentement à l’ordre, comme l’écrit Pierre Legendre. Mais pour en débattre, il faudra inviter Hélène Bonnaud à une autre Conversation.
Brigitte Riera – mai 2021