Lors des récentes Journées d’Etude et de Formation du Réseau Pratiques Sociales sur le thème « Etre hébergé, se loger, habiter », Paul Bretécher, psychiatre psychanalyste élevé à la psychothérapie institutionnelle et disciple de Lucien Bonnafé, a apporté son éclairage sur le syntagme « chercher refuge ».
Le statut de réfugié dit politique a concerné différentes populations : les Huguenots fuyant après la Révocation de l’Edit de Nantes au 17ème siècle, des proscrits qui au 19ème siècle sont persécutés dans un Etat jugé autoritaire, des Russes quittant leur pays après la Révolution de février 1917, ceux qui se sont échappés des pays de l’Est pendant la Guerre Froide. A contrario, les Italiens et les Espagnols abandonnant leurs pays livrés au fascisme entre 1936 et 1945 n’ont pas obtenu ce statut. Les boat-people venant du Cambodge et du Vietnam vont bénéficier, pendant une vingtaine d’années, des besoins en main-d’œuvre des pays d’accueil. Les données seront sensiblement différentes quand viendront du monde entier des migrants de plus en plus nombreux. La part sera faite entre ceux qui sont acceptables (échappés de pays en guerre) et ceux qui sont indésirables (migrants économiques – euphémisme pour : couches pauvres ou appauvries de la population). Asile politique pour les premiers et refuge aléatoire pour les seconds.
La maladie comme refuge
A partir de ce rappel historique, Paul Bretécher « décolle la notion de refuge de celle de réfugié » ; est réfugié celui qui fuit un pays chargé de dangers réels et potentiels ; le refuge est ce qu’un sujet construit pour se blottir dans un monde plus ou moins imaginaire ou, du moins, se jouant de la réalité et vécu comme protecteur. C’est « une affaire éminemment clinique et politique » car elle pointe à la fois ce que les sociétés induisent sur les sujets et les stratégies qu’ils mettent en place pour s’en accommoder.
S’appuyant sur les travaux de Freud, il nous propose une réflexion sur la maladie en tant que refuge, soit la névrose et la psychose élaborées comme autant de solutions face à des assauts internes ou externes inassumables pour un sujet. La psychose, notamment, crée une nouvelle réalité à laquelle, à la différence de celle qui est abandonnée, on ne se heurte pas[1]. La caractérise sa capacité de reconstruction du monde. Des malades – dont certains parmi les réfugiés-migrants – investissent des symptômes censés les aider à vivre une situation inextricable qui les plonge dans la peur, l’incertitude et l’angoisse du lendemain et même de la journée présente.
Des questions se posent aux accueillants et aux soignants : comment aider ces personnes à sortir de ce qui est plus qu’un refuge ? Comment faire en sorte que ce passage par la maladie ne soit qu’un refuge provisoire ? Comment les amener à se risquer au-delà de leur système défensif ? Car le refuge, à l’instar de l’abri de montagne, suppose de pouvoir y entrer pour s’y (re)poser et aussi de pouvoir en sortir.
Des pistes de travail, expérimentées à Saint-Alban et à la clinique de La Borde, se trouvent dans les enseignements de la psychothérapie institutionnelle : ne pas considérer les patients comme des êtres irresponsables mais comme des gens capables de prendre des initiatives si on leur en donne l’occasion, ne pas les cantonner à un espace restreint en les laissant aller et venir comme bon leur semble. Gilles Deleuze préconisait de « construire des agencements », soit travailler à partir des territoires créés avec et par les patients et ménageant des lignes de fuite, des possibilités de trouver des issues, de rendre les frontières quelque peu poreuses. Créer des agencements suppose de dépasser les distinctions tranchées entre soignants et soignés, de reconnaitre en ces derniers un potentiel de soignants, en ne réduisant pas autrui à sa condition de patient ou d’usager plus ou moins récepteur et passif.
Chercher refuge : une affaire éminemment clinique et politique
D’une part parce que les possibilités de soin ne sont ni dans le fait d’ôter trop vite à autrui ses symptômes, ni cristallisées dans le seul champ des soignants attitrés, mais aussi dans le potentiel soignant de ceux qui, développant en partie à leur corps défendant des postures défensives, peuvent témoigner de ressources stratégiques et de compétences (autonomie, solidarité, débrouillardise). Il y a donc à penser et pratiquer l’accompagnement en termes de tendances, certaines à fortifier et d’autres à contrer.
D’autre part parce que ce qui arrive à un sujet dit quelque chose du monde réel dans lequel il évolue nécessairement, non pas comme il le souhaite mais comme il le peut, avec ses mécanismes de défense et ses refuges. L’illustrent les débats actuels sur la loi appelée « Loi asile-immigration ». Ils mettent en exergue les partis pris quant à l’accueil des migrants et la revendication de leurs droits que la droite française actuellement au pouvoir entend durcir, la contestation d’une réunification familiale pour les enfants accueillis, l’accélération des procédures d’expulsion, l’augmentation de la durée maximale de séjour en centre de rétention, le placement d’enfants en centre de rétention administrative (cf. article du Monde du 16/04/18 Loi asile-immigration : ce que contient le texte, ce qui peut bouger, ce qui ne bougera pas).
Claudine Hourcadet – Avril 2018
[1] Freud, La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose (1924) In Névrose, psychose et perversion, PUF, Paris 1973
Questions posées par C. Hourcadet à Paul Bretécher dans l’après-coup de ces Journées :
Je m’interroge sur un point de votre intervention du 26 mars au CIEP. Évoquant les travaux de Furtos et le syndrome d’auto-exclusion, vous parlez d’asymptomatologie, de symptômes au-delà des cas de névroses et de psychose. Il me semble qu’on s’éloigne là des travaux de Freud et des catégories pathologiques qu’il a mises en évidence. Ne peut-on imaginer que les sujets inventent, non pas de nouvelles pathologies ou catégories mais des réponses originales, comme en leur temps les hystériques étudiées par Freud ?
Par ailleurs, on pourrait, au vu des débats actuels à l’Assemblée Nationale, interroger le terme même d’asile, qui renvoie à des périodes sombres de la psychiatrie.
Réponses (éclairantes) de Paul Bretécher :
Si j’ai mentionné ce que dit Furtos à propos du syndrome d’auto-exclusion, c’est dans la mesure où, dans certaines situations de grande détresse, de violence absolue, ou de carence totale de soins, il semble que les défenses symptomatiques de la psychose ou de la névrose, refuges et prisons psychiques ne suffisent plus face à la déréliction. On pourrait faire un rapprochement entre cet abandon de soi et les symptômes pathoplastiques des asiles carcéraux d’autrefois, tels que la catatonie par exemple. Les anciens manuels les considéraient comme caractéristiques de la schizophrénie. Aujourd’hui, où les modes de coercition en psychiatrie n’ont hélas pas disparu, mais s’exercent autrement ( contention, chambres d’isolement, séjours de courte durée et programmes de soins contraints), on ne les voit quasiment plus… « Chute hors du monde », pétrification, retour à l’inanimé, , que l’on peut, suivant Freud, référer à la pulsion de mort quand toute expression vitale, même la plus folle, est devenue caduque. Mais ceci n’est qu’une hypothèse évidemment.
Quant à l’asile ? Comme on le sait, ce fut un temps un espace sacré et quasi inviolable où même les criminels pouvaient trouver une protection. A l’époque de l’aliénisme le mot à complètement changé de sens, désignant un dispositif ségrégatif et mortifère. En prônant le « désaliénisme », après l’aventure de Saint Alban durant la guerre, Lucien Bonnafé indiquait bien, à l’inverse, quelle pratique il souhaitait développer.Malheureusement, ses options n’ont pas vraiment résisté à la vague techno-bureaucratico-positiviste qui sévit partout aujourd’hui et fait le lit de ce que l’on pourrait nommer sans trop de caricature : un néo-aliénisme.
Reste quand même l’idée du droit d’asile, droit lui aussi très malmené ces derniers temps, mais qui devrait garder sa force prescriptive.