Prétérition : figure rhétorique par laquelle on attire l’attention sur une chose en déclarant n’en pas parler (ex « Je ne dirai rien de son dévouement, qui… »)
Depuis de nombreux mois, journalistes, commentateurs en tout genre, éditorialistes, politiciens interrogent publiquement la question du boycott de la Coupe du Monde de football 2022, organisée au et par le Qatar. Semblant par là même négliger que la pléthore de prises de parole au sujet dudit boycott constitue bien plus une féroce publicité qu’une quelconque dénonciation.
Que s’agit-il en l’occurrence de dénoncer par le boycott ? Les rapports pour le moins distendus avec l’idée de démocratie d’un pays aux forts ancrages théocratiques et aux multiples enjeux pétroliers ; les centaines de morts chez les ouvriers employés dans la construction accélérée des équipements, ou bien encore les conséquences écologiques d’une gestion logistique catastrophique (climatisation des stades entre autres).
En quoi consisterait donc ce boycott, à qui incomberait pareille action ? Pour les sportifs, un refus individuel ou collectif, total ou partiel de participer à la compétition ou d’en profiter pour mettre en scène des actes ou paroles dénonciatrices. Pour les nombreux amateurs de ce sport, se désintéresser de la compétition, ne pas allumer leur téléviseur. Pour les acteurs directs ou indirects du milieu du football de prendre explicitement position à propos des différentes dimensions de l’organisation de cette compétition, et surtout signifier leur refus d’y être associés de quelque manière que ce soit.
Si de telles prises de parole ou actes ne sont pas dénués d’intérêt, leur caractère fondamentalement moral minore leur portée, et par là même oblitère les explications objectives, fait taire les logiques à l’œuvre, en focalisant sur les conséquences tout en disant si peu des causes. Un abord plus explicitement politique mettrait en lumière les intérêts géostratégiques des États, les proximités, sinon les connivences entre gouvernants occidentaux et dictatures du Golfe, les opacités des organisations sportives internationales… Car le sport, et encore moins lorsqu’il s’inscrit dans de tels enjeux internationaux, ne peut en aucun cas manquer de comporter des dimensions idéologiques et politiques majeures. Des visions du monde s’y expriment, des manières de penser s’y affrontent, des luttes de pouvoir et de marchés s’y déroulent.
Le boycott apparaît comme l’un des registres de lutte ou de contestation vis-à-vis d’événements à bien des égards condamnables. Il implique un phénomène de masse, afin d’avoir un impact certain. Impact à ne pas négliger ! A condition de ne pas se parer de pudeurs outragées tendant à faire d’une telle compétition un pur scandale qui rompt avec le cours supposément habituel des choses. Dans bien des domaines – géopolitique, militaire, industriel et aussi sportif donc – des logiques similaires dominent, rien de très nouveau ici, dans un monde gouverné par un néo-libéralisme décomplexé. C’est face à des mécanismes qui dépassent de très loin cette Coupe du Monde que chacun se positionne, délibérément ou non, par ses agissements et ses silences, dans une optique qui penche vers un relatif maintien de l’ordre des choses ou en faveur de bouleversements inévitablement radicaux dudit ordre.
Sébastien Bertho – décembre 2022