Le Grand Débat. Utile et même indispensable opération, tant les gens « ordinaires » ont des choses à faire savoir en termes d’emploi et de retraite, de scolarité et de loisirs, de vie quotidienne (généralement difficile), de perspectives individuelles et collectives (souvent improbables). On comprend alors pourquoi et surtout pour qui le GD était nécessaire : pour les gens d’en-haut, qui savent de moins en moins ce qui arrive à ceux d’en bas, sauf en sollicitant les Renseignements Généraux ou en commandant des audits. Ils voudraient savoir quelque chose du pays qu’ils gouvernent et qui les fait vivre si royalement (sic). Pour surtout continuer sur la même voie ! C’est pourquoi des conclusions bien particulières ont commencé à être annoncées : aucunement des leçons plus ou moins inédites de ce GD, comme si ses organisateurs attendaient qu’il ait d’abord lieu pour ensuite en tirer des enseignements. Seules sont annoncées les confirmations que ce GD était censé produire avant même qu’il ne débute, les phrases qu’il était supposé prononcer avant qu’il ne les formule, les doléances qu’il était présumé proférer avant même d’être convoqué à le faire. Quant au reste, soit les multiples et encombrants contenus qui dépassent la commande, ils attendront des jours meilleurs. Ou des nuits moins froides. Ce n’est pas une question de mauvaise foi des dirigeants. Moins encore d’ignorance. C’est une affaire d’orientations idéologiques et politiques, qui facilitent ou qui interdisent d’apprendre quelque chose de ce qui arrive dans le monde réel et surtout ce qu’on peut en faire. La fascination du Même n’épargne pas les politiques. Car il ne suffit évidemment pas d’épingler ce qui ne va pas pour certains groupes et classes au sein de la démocratie approximative où nous vivons. Encore faut-il construire des gestes, des pratiques, des institutions à forte visée démocratique, pas à pas, jour après jour, dans les écoles, les usines, les foyers, la rue, sans oublier les ronds-points. Toutes les orientations ne sont pas à même de le faire, n’ont aucun intérêt à le faire.
La seconde actualité concerne l’affaire Carlos Ghosn. Splendide affaire, pleine d’enseignements, de leçons et bien d’autres choses encore. A nouveau un GD, Grand Dirigeant industriel débarqué par ses homologues parce que ses comportements fiscaux, notamment, les mettaient tous en danger tout en encourageant le questionnement d’un système déjà passablement critiqué de toutes parts. Cependant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, un certain souci de justice préside à ce lâchage qui ne risque pas de plonger la victime dans le besoin. On rappellera que, pendant une vingtaine d’années, le GD débarqué a réussi à imposer, grâce à de multiples complicités, dont celles de ses homologues, des conditions de travail draconiennes à ses salariés, qui ont ainsi généreusement quoiqu’involontairement contribué à redresser la situation des industries concernées et rendu heureux leurs dirigeants. Absence de tout souci de justice, alors ? Sans doute, si on tient la justice pour Universelle, tel un Esprit flottant au-dessus de l’histoire sociale. Las, il est peu probable qu’il en aille de la sorte. La justice concerne ici le comportement d’un sujet qui n’a pas pu-su résister au penchant impérieux de la richesse absolue et du pouvoir sans barrières. Peut-être s’est-il dit, en louant le Château de Versailles pour marier sa fille, que quand on a déjà beaucoup, il n’y a pas de raison pour ne pas avoir tout – et même au-delà ? Tout compte fait, plus que de s’être mal comporté, ce sujet qui se rêvait illimité en a fait trop, juste trop. Version nippone de l’histoire de Narcisse : tombant dans « les eaux glacées du calcul égoïste » (Brecht), il y retrouve, non pas sa belle et remarquable image, mais à peine son indécrottable moitié : Picpus. C’est pourquoi le lâchage qui lui est infligé relève bien d’une certaine justice : bannir sans tarder la brebis explicitement, manifestement galeuse, centrer sur sa seule personne la cause des déviations et des malversations assure, garantit, conforte la survie du système qui rend la brebis possible et la gale facile à reproduire.
Bref, les GD ont ceci de positif qu’ils nous obligent à réviser quelques-uns de nos lieux communs pour en faire des lieux à habiter.
Saül Karsz – Avril 2019
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot le montrent très bien dans leur dernier ouvrage (le président des ultra-riches, zones, 2019) la dérive monarchiste du Sieur Macron est criante : sa volonté de s’inscrire dans le lignage des Bourbon tout comme son devancier le Sieur Sarkozy souhaitait s’inscrire dans celui des Bonaparte. Dans cette perspective le GD est une vaste tartufferie destinée à contrôler encore et toujours la « plèbe ». Quand à l’ex PDG il est offert en holocauste pour avoir « dérangé » plus gros que lui et mis en lumière les pratiques d’une oligarchie en levant le voile sur les turpitudes et les extravagances de cette « aristocratie ». Depuis les capétiens rien n’a changé au Royaume de France : le système mute à chaque « crise » comme mute chaque année le virus de la grippe, tuant plus ou moins en fonction de sa virulence. Nous n’assistons pas à une lutte des classes mais à une guerre de classes et les riches et les très riches sont en passe de la gagner… Mais rassurons-nous Gaïa bientôt y mettra bon ordre, ne l’entendez-vous pas gronder ?
Cher saul, est ce ce texte , surprenant de ta part, un essai scientifique ? Certes non. Les inexactitudes notamment affaire Goshn, laissent penser à un exercice de pensée déjà construite. Parti pris. Déjà pris. Pensée de gauche ou gauchisme qui décidément ne nous épargne.? A quand la reconstruction ?.. Affectueusement. Marc.
Tartuffe, hypocrite ou imposteur ? Peut-être la seule question qui vaille à l’issue du GD dont les conclusions tant attendues nous renseignent finalement moins sur l’opinion des françaises et des français que sur la vraie nature de notre Grand Directeur de conscience.
Merci Saül pour cet édito pas piqué des vers ! RD
Réponse à Marc Launay
Bonjour Marc L., content d’avoir de tes nouvelles après de longues années de silence, perplexe pour tes commentaires à propos des « inexactitudes de l’affaire Goshn » : lesquelles, précisément ? Exercice de pensée, dis-tu : mais c’est bien entendu mon métier et ma passion !!! c’est d’ailleurs ce que j’ai essayé de te transmettre quand tu as été un peu mon élève, jadis, et collaboré avec un article dans le volume Déconstruire le social (Harmattan). « Pensée de gauche », enfin : ignorais-tu cette presque tautologie ? Enfin, je suppose que tu travailles toujours chez Renault-Nissan ? cordialement, SK