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« Election, piège à cons ! », déclarait jadis Jean-Paul Sartre dans un célèbre édito de sa revueLes temps modernes. Déclaration pas entièrement fausse s’il s’agit de changer de régime, de renouveler les rapports de production et de répartition des biens et des richesses, de pratiquer la culture et non plus de la consommer, de tenter d’avoir une autre vie pour tenter de rêver autrement… Qu’en est-il de ce projet grandiose aujourd’hui, en France et ailleurs ?

Le vote représente un acte politique dont l’obtention pour l’ensemble des citoyens a nécessité des luttes longues et douloureuses, politiques et sociales, idéologiques et subjectives. Toujours pas universel au demeurant (pour ceux qu’on appelle les immigrés). Il importe de ne pas brocarder cette conquête historique, tels ces intellectuels qui, en se comportant en aristocrates de gauche, font le jeu des petits bourgeois qui préfèrent ne pas voter car cela ne change rien (entendez : de leur petite vie personnelle et domestique !)Ou qui arborent l’axiome « tous corrompus », mais négligent de s’y inclure. En fait, on vote, non pas pour tel ou tel candidat sympathique ou antipathique, mais pour des orientations relativement précises que chaque candidat personnifie à sa manière, avec sa névrose et son narcissisme, – sans nullement en être ni l’inventeur, ni la cause ni la finalité.

 Cet acte politique qu’est le vote ne résume bien entendu pas toute la politique. La preuve : voter à gauche ne dispense nullement de développer des comportements, attitudes, réflexions, et des pratiques parfaitement conservatrices, sinon rétrogrades, le contraire étant largement moins courant. Car le vote marque un seuil, un tournant, une balise, tandis que la politique est un mouvement comportant des avancées et des régressions, des pertes et des conquêtes. Acte d’un côté, processus de l’autre. Eviter de les confondre aide à ne pas se renfermer dans de faux dilemmes. Mais, dialectique oblige, l’acte s’inscrit dans un processus grâce auquel il acquiert une portée politique, le processus reste purement formel s’il n’est pas balisé par des actes multiples. Autrement dit, ce n’est pas avec le vote qu’on change le monde, sans le vote non plus.

Nous vivons en régime de démocratie représentative : plus représentation que démocratique, c’est pourquoi elle comporte maints usures et discrédits. On peut le regretter, ou s’en féliciter, ou faire avec. Faire avec c’est savoir qu’il y a une vie après le triomphe électoral : vient alors le temps ô combien difficile de l’exercice du pouvoir et de l’usufruit des pouvoirs. Là, la bataille est bien loin d’être gagnée, quel que soit le résultat du vote ! Une étape inédite s’ouvre, – décisive.

Ces élections françaises mettent massivement en scène ce fait que le néolibéralisme n’est pas une fatalité mais juste un régime économique, politique, idéologique : comme tout autre, ni éternel, ni indispensable. Voilà donc des élections-témoignage, des élections-paradigme, au-delà du seul périmètre français. Ces élections françaises sont donc aussi des élections européennes.

Le vote est la promesse, voire le pari d’une politique souhaitée, – d’autant moins effective et réelle que, dans son quotidien professionnel et familial, chacun s’abstient de s’y engager concrètement en attendant la prochaine votation… Moralité : ce n’est pas parce qu’on vote pour un candidat-orientation qu’on cesse d’être abstentionniste, collaborateur de cela même qu’on critique.

Autant dire que la démocratie surtout représentative rétropédale et accentue ses penchants réactionnaires si elle n’est pas entretenue, soignée, approfondie, creusée, cultivée, discutée, travaillée, pour tout dire dépassée. Qu’y a-t-il donc au-delà du vote ? La politique, bien sûr !

Saül Karsz – Mai 2012

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