Saül Karsz, invité par l’Académie de Bordeaux et les PEP 64, est venu en Béarn le 13 décembre 2017 pour évoquer pendant, devant un parterre en grande partie composé d’enseignants, le thème « Société, école, travail social : spécificités et articulations ».
Il a mis en avant les difficultés et parfois le désarroi rencontrés par les enseignants et les travailleurs sociaux : ils ne manquent pas de travail car les sollicitations sont ininterrompues et leurs places sont assurées ; pour autant, ils sont nostalgiques d’un temps passé qui apparait comme idyllique dans l’après-coup et ils se sentent parfois impuissants devant les situations-problèmes qu’ils rencontrent chez les élèves et les usagers respectivement. Ces derniers n’ont donc pas le monopole des difficultés…
Pourquoi les tâches d’enseigner et d’accompagner paraissent-elles si ardues ? A quoi donc servent l’école et le travail social ?
Ecole et travail social sont des appareils d’Etat. En tant que tels, ils ont une logique objective et cohérente qui ne fait jamais défaut, même si on n’en perçoit pas toujours le sens. La question du sens renvoie aux seules responsabilités individuelles et collectives des enseignants et des travailleurs sociaux. Or, c’est la logique d’ensemble qui est à explorer afin de ne pas s’engouffrer dans un certain psychologisme, cet ersatz de discipline qui consiste à trouver dans le psychisme des individus la cause unique de ce qui leur arrive. En tant qu’appareils d’Etat, l’école et le travail social, orientés par des choix de société, autrement dit des politiques publiques précises, résultent de ces choix en même temps qu’ils induisent des fonctionnements sociaux, soit des discours et comportements. Non seulement ils participent à la reproduction des rapports sociaux mais ils s’alimentent en étant « des fournisseurs d’accès réciproques. Le fonctionnement normal de l’école forme des candidats potentiellement alloués à l’intervention sociale et le fonctionnement normal du travail social consiste à compléter, alléger ou escamoter les difficultés des usagers afin de les rendre aussi élèves que possible de l’école dite ordinaire ou normale ».
Sans l’école, il n’y a pas d’enseignants ni d’élèves et sans le travail social l’usager et l’intervenant n’existent pas. Les professionnels sont redevables aux publics autant que les seconds ont besoin des premiers. Professionnels, élèves et usagers sont les personnages de pièces de théâtre dont ils n’ont pas écrit les scénarios mais qu’ils jouent selon des règles et des normes qui leur préexistent.
Selon Saül Karsz, dans l’appareil scolaire et le travail social deux tendances majeures fonctionnent de concert. Entre formation et formatage, entre module et modèle, des enseignants tentent de se frayer un chemin entre les savoirs institués figurant dans les programmes scolaires et les ouvertures vers d’autres savoirs proposés par les apprenants. Entre désir de solidarité et devoir d’insertion, entre prise en charge et prise en compte, des intervenants sociaux cherchent une voie pour accompagner les usagers tout en se laissant enseigner par eux.
Tâche ingrate, dialectique difficile à travailler, d’autant plus difficile si l’on pense et l’on dit – comme si cela allait de soi – que l’école et le travail social sont en crise. Or ils ne se sont jamais portés aussi bien, l’une et l’autre se nourrissant mutuellement. En tant qu’appareils d’Etat, ils distillent des modèles et opèrent un travail sur les idéologies. En prendre acte permet d’être un peu moins dupe sur la nature normative de l’appareil scolaire et le caractère palliatif du travail social. Car il s’agit surtout d’inventer de nouvelles formes d’enseignement et d’accompagnement. Là réside, sans doute, la possibilité pour les professionnels de trouver du plaisir à l’ouvrage et pour les personnes accompagnées d’accompagner leurs accompagnateurs !
Claudine Hourcadet – Janvier – Février 2018