La loi de programmation pour la cohésion sociale a validé en 2005 la création d’un dispositif venant en aide aux élèves de 2 à 16 ans en difficulté scolaire : le Programme de Réussite Educative (PRE). Dispositif de la politique de la ville, il œuvre au sein des quartiers dits prioritaires pour tenter d’enrayer le décrochage scolaire. Il s’agit d’articuler réussite scolaire et réussite éducative, cette dernière intégrant un ensemble de dimensions socioculturelles, sociales, sanitaires, familiales… Leitmotiv récurrent, la notion « d’approche globale » y constitue une référence forte.
Outre un comité de pilotage, le PRE comprend un coordonnateur, plusieurs référents de parcours et une équipe pluridisciplinaire de soutien dite EPS. Il intervient le plus souvent à la demande de l’institution scolaire qui n’arrive pas à gérer les troubles que présente un jeune en termes d’apprentissage, absentéisme, incivilité… Un intervenant rencontre alors la famille [parents, jeune], expose les éléments de diagnostic et cherche à obtenir l’accord pour un accompagnement personnalisé. Si acceptation, le référent chargé du suivi recueille des informations auprès des professionnels du quartier qui connaissent l’élève, puis présente les éléments de situation à l’EPS. Celle-ci propose un ensemble d’actions [bilan médical, soin, soutien scolaire, activités socioculturelles, soutien à la parentalité…] composant le « parcours de réussite éducative » et sollicite des « acteurs » institutionnels spécialisés pouvant le conduire. C’est donc un réseau pluri-professionnel qui est ainsi mobilisé. Chaque mois, le suivi est réajusté en équipe au fil des bilans réalisés par le référent de parcours. Les accompagnements sont de durée variable, entre 9 et 15 mois en moyenne.
En 2012 et 2014, des évaluations ont été réalisées par l’Institut des Politiques Publiques afin de rendre compte de l’impact du dispositif PRE sur le devenir des enfants [cf. Rapport IPP n° 13, mars 2016, évaluation des Programmes de Réussite Educative]. Les effets psychologiques et scolaires obtenus [amélioration du bien-être de l’élève, relation aux autres, comportement, motivation et réussite scolaire] sont jugés faibles sur l’ensemble des registres à l’exception de la santé et de l’assiduité scolaire. Des points critiques sont mentionnés : effets d’étiquetage ou stigmatisation de la part d’enseignants, manque de coordination entre acteurs, insuffisante prise en compte de la spécificité des enfants, risque de substitution de la relation référent PRE/école à celle de parent/enseignant. En revanche, l’étude valorise le travail de partenariat entre des services et des professionnels qui s’ignoraient auparavant. Ces derniers en sont les bénéficiaires implicites et probablement principaux.
Pas question de mettre en cause un dispositif qui présente des avantages certains : parcours singulier, recherche d’alliance avec les familles, mise en synergie des ressources institutionnelles locales, évaluation continue… Il s’agit juste de rappeler que le PRE est un dispositif palliatif, forcément palliatif. Il ne peut nullement réduire les inégalités socio-économiques, causes manifestes des risques de démobilisation scolaire, comme l’indique ce passage « En France, les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé n’obtiennent pas seulement des résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins impliqués, attachés à leur école, persévérants et beaucoup plus anxieux par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE ». Interrogeons plutôt la problématique du « décrochage scolaire » en essayant d’en épingler succinctement deux présupposés majeurs. Le premier considère que la démobilisation scolaire est toute entière placée chez les élèves en raison de leur condition socio-économique d’existence, perçue comme LA cause des causes. Ce présupposé sociologiste empêche d’investir une explication multifactorielle. Le second présupposé pose que les jeunes des quartiers défavorisés sont rétifs aux apprentissages et à l’acquisition du savoir. Mais résistent-ils au Savoir – unique, indispensable, désirable – ou bien à certains savoirs hégémoniques promus par l’institution scolaire et à certaines modalités de transmission et de sanction de ces savoirs ? Peut-on penser la question du décrochage scolaire sans l’articuler aux luttes idéologiques qui se jouent au sein de l’appareil scolaire entre des connaissances et savoirs légitimés et d’autres qui leurs sont subordonnés, voire discrédités, mais dont les jeunes des classes populaires sont des porteurs ? Qu’en est-il de la prise en compte des fidélités culturelles au milieu familial dans lequel l’élève a grandi, du respect des habitus et traditions de son quartier d’appartenance, dans ce qu’il est autorisé, consciemment et inconsciemment, à apprendre, avec/malgré/contre son référentiel familial et culturel ? En ciblant les carences personnelles et/ou difficultés sociales des élèves, la problématique du décrochage scolaire légitime une orthopédie rééducative sur mesure pour chacun des jeunes pris en charge dans le cadre du PRE. « Réussite éducative » et « décrochage scolaire » s’engendrent et s’alimentent réciproquement, l’une étant la condition et le reflet inversé de l’autre. Mais, dans ce jeu de miroirs, une esquive importante se fait jour : la part qui revient à l’institution scolaire dans chaque diagnostic de situation : formation des enseignants, formes et contenus des enseignements, modalités de contrôle et d’évaluation, valorisation de certains savoirs contre d’autres… ? Dans le décrochage scolaire, qu’en est-il du décrochage de l’école à l’égard des élèves dès que des questions d’apprentissage et de comportement se posent ?
Jean-Jacques Bonhomme – Janvier – Février 2018