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You are currently viewing La malédiction divine a encore frappé !

On pourrait le croire, en effet, tant les incidents, accidents et catastrophes s’accumulent sans répit et les explications à leur propos sont rares, sinon inexistantes. Inventaire incomplet : méga-incendies de forêt, canicules et sècheresses, inflation qui taraude le pouvoir d’achat et accroit implacablement ce qu’on appelle le coût de la vie… Par ailleurs, de jeunes et de moins jeunes refusant des métiers même prestigieux et bien payés, des personnels éducatifs et sanitaires démissionnaires ou introuvables, des restaurateurs à la peine pour embaucher, des consommateurs certains farouchement agrippés à leurs consommations, d’autres jonglant avec des fins de mois qui commencent pas plus tard que le 15 ou le 16, des conditions de travail et de rémunération contestées presque partout. S’y ajoute, événement comparativement mineur quoique pas moins significatif, un psychanalyste renommé qui fait connaitre, c’est-à-dire invente, le diagnostic calamiteux que Jacques Lacan aurait fait du candidat Mélenchon si jamais quelqu’un le lui avait demandé (Le Point, 09.06.2022). Question : une opinion électorale typiquement bobo émise au nom de la psychanalyse contribue-t-elle à autre chose qu’au discrédit de cette dernière ?

Phénomènes dits naturels et phénomènes dits sociaux se relaient et se renforcent. Et les explications, dis-je, tardent à venir. C’est pourquoi, probablement, le président français sonne la fin de l’abondance – mais néglige de dire laquelle et surtout pour qui.

On ne niera pas que ces phénomènes sont, tous et chacun, et plus encore par leur concentration dans un espace-temps réduit, compliqués, complexes, épineux. Les expliquer rationnellement est loin d’aller de soi. Plus encore tenter de les résoudre. Encore faut-il en avoir le projet. En fait, on se limite à parer au plus urgent, ou du moins au plus perceptible. Pourquoi en est-il ainsi ?

Parce qu’une malédiction divine est tombé sur nous tous ! Hypothèse parfaitement loufoque, certes, mais bien plus usitée qu’il ne le semble. Sont en effet de mise la malédiction divine qu’on nomme par des succédanées guère laïcs : « malheureusement, c’est ainsi », « les experts s’y penchent », « cataclysmes naturels », voire « crise écologique ». Pareilles assertions comportent un bénéfice non négligeable : l’inutilité des argumentations et démonstrations – il faut et il suffit d’y croire. Et continuer à vivre, comme si de rien n’était.

Hormis la découverte de quelques pompiers pyromanes (sic), se voient hissés au rôle de causes de la situation actuelle : la guerre d’Ukraine, la pénurie alimentaire, le renchérissement du prix des combustibles. Sans guère expliquer pourquoi et comment cette guerre d’annexion induit concrètement la situation actuelle : l’invoquer régulièrement revient à psalmodier son nom sans rien clarifier. La tragédie d’un peuple est exploitée à trop bon compte. Cette cause cause beaucoup mais dit peu. Faut-il rappeler que la pénurie alimentaire et le renchérissement des prix sont des conséquences bien plus que des causes ? La pénurie alimentaire n’est pas la même à 800€, à 1200€ ou à 15 000€ par mois. Idem pour le renchérissement, qui représente une catastrophe sans issue ou un avatar à tel point normal que ladite augmentation constitue en réalité un simple ajustement. Quant à l’inflation, elle ne fait pas seulement des victimes – bien qu’en nombre réduit, ses bénéficiaires ne manquent pas. Bref, des explications restent à construire.

Même démarche pour les incendies, les canicules et autres sècheresses ? C’est en effet la même malédiction divine qui est invoquée quand on célèbre le labeur effectivement héroïque des pompiers comme jadis celui des personnels sanitaires contre le Covid sans pour autant rechercher les raisons plausibles des phénomènes qu’ils combattent. Quand on laisse dans l’ombre les origines de ces phénomènes, les mécanismes de leur expansion sélective, les superprofits engrangés par leur traitement, les politiques visant à empêcher leur résurgence…

Puissance de la malédiction divine et succédanées : rien de plus dérisoire que de s’insurger contre Elle. Tout au plus peut-on endiguer quelques-uns de ses excès, comme le capitalisme vertueux (« à visage humain », disait-on jadis) sublime la loi d’airain du Capital. Rien de mieux que la puissance du Ciel pour maintenir la résignation sur Terre.

Conclusion : il existe bien des phénomènes naturels comme il existe des phénomènes sociaux et politiques. Chacun obéit à des logiques spécifiques, bien entendu intransférables. Mais les uns et les autres se déroulent dans un seul et unique monde. Nullement étanches, ils sont inextricablement entremêlés. C’est pourquoi, s’il y a des conditions et des phénomènes effectivement naturels, en revanche leurs causes et leurs conséquences, leur historique et leur dénouement, leur contention et leur explosion, les dégâts et les gains qu’ils entrainent, sont strictement, uniquement, exclusivement économiques, politiques, idéologiques. L’inflation finit par rejoindre les incendies. La sècheresse métaphorise certains pouvoirs d’achat et en exalte d’autres. Les paramètres sociaux et historiques devenant davantage visibles, la supposée malédiction divine peut alors quelque peu reflouer – dans la théorie et aussi dans les pratiques.

Saül Karsz – Septembre 2022

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