Je parlerai de ma place de cadre de direction, à différents postes, sans aucune prétention académique. Le positionnement de cadre nécessite à mon point de vue une réflexion sur le pouvoir, son exercice, du fait particulièrement de l’autorité que confère ce statut et pour plusieurs raisons : notre parole prend une autre force aux oreilles présentes. On doit accepter, et respecter aussi le contre-pouvoir, qui donne légitimité au pouvoir. Dans certains cas, nous devons même l’organiser, ce qui n’est pas naturel.
Cette réflexion doit aussi pointer clairement les limites du pouvoir de chacun, entendant que tout le monde est sous le pouvoir d’un autre. La vie de chacun, particulièrement les plus fragiles, est impactée par le pouvoir de l’autre : naturellement le cadre gestionnaire d’un planning de travail a dans ses mains la capacité de désorganiser la vie de l’autre, comme le travailleur social a la capacité d’agir sur la vie de « l’ayant droit ». On pourrait parler également de l’autorité de tarification et de contrôle.
La relation de pourvoir et donc d’autorité est par conséquent au cœur de notre société (je ne m’étends pas sur l’autorité dans la sphère privée notamment).
La réflexion sur l’autorité et le rapport au pouvoir devraient donc être plus généralisés dans la formation des citoyens. Cette formation passerait sans doute sur une forme de travail collaboratif plus importante, à l’école comme au travail.
Au travail, là où réside encore plus la place du cadre, c’est donc d’organiser cette collaboration, qui peut permettre à une décision « de faire autorité ».
Le travail essentiel sur les fiches de poste et de délégation est primordial pour construire l’espace de la collégialité. Je crois également que les logiques de normalisation, procédurisation ont tellement infusé notre secteur que l’on ne trouve plus l’espace de la discussion et de la construction d’une position collective. On a parfois réussi à construire des exécutants sans espace de réflexion.
Nous sommes passés une fois de plus d’un extrême à l’autre en termes d’organisation du travail et on sent une tentative de rééquilibrage.
Les récentes expériences dans notre secteur d’équipe à responsabilité élargie, autrement appelé équipe autonome – appellation que je récuse, montrent très clairement le chemin d’une refondation de l’organisation du travail et particulièrement du pouvoir dans l’organisation du travail. Partie de l’expérience de Buurtzorg au Pays Bas sur le champ de l’intervention à domicile, on la voit prendre place y compris dans les établissements
Différentes expériences dans notre secteur montrent un véritable effet sur le bien-être au travail (version QVCT) par un sens d’être au travail. Ces expériences montrent aussi un changement de positionnement à la fois des cadres et des équipes. Le fait de reposer ensemble le projet de travail collectif et de laisser une grande partie de l’organisation aux acteurs eux-mêmes permet une reprise en main de son « destin au travail ». Le travail des cadres est alors repositionné sur sa mission historique de prise de distance et de facilitateur de réflexion grâce à sa distance du terrain, du quotidien de la prise en charge. Il sera attendu sur l’animation de la réflexion et plus sur le planning des congés. Il restera arbitre en cas de conflit sur ces sujets d’organisation en cas de difficultés tout au plus mais avec l’exigence d’expliquer sa décision.
C’est pour cela en dehors même des expériences susnommées qu’il est important de travailler la fiche de poste ET de délégation. Tout un chacun doit connaitre aussi son terrain de Jeu, et celui des autres.
Je crois que nos collègues ne récusent pas l’autorité, mais l’absence de sens de certaines décisions prises en vertu de procédures ou de règles désincarnées.
Je pourrai appuyer mon propos à partir d’exemples sur des décisions d’autorité que j’ai prises ou subies en essayant de les disséquer pour montrer les ressorts qui ont engendré des réactions, des oppositions, de la défiance.
Mais très souvent, c’est un manque de discussion, échanges, explications qui a été au cœur du dérapage de la compréhension.
Jean-Marie Gorieu – septembre 2024