Accompagner, guider, orienter, ouvrir des pistes, faire un parcours avec quelqu’un. Tout accompagnement suppose un début, un cheminement, une fin. Celle-ci constitue un moment singulier pouvant s’illustrer par divers scénarios :
Scénario de coopération : la fin signe l’accord négocié entre l’usager et l’intervenant porte-parole de l’institution. Des raisons éducatives et administratives légitiment cette décision au terme d’une période préalablement balisée par un projet individualisé et délimitée dans un contrat. Chaque protagoniste considère que le but de l’accompagnement a été plus ou moins atteint, au regard des objectifs fixés et de l’alliance usager/professionnel qui s’est élaborée. Entendons par alliance la congruence entre la demande explicite de l’usager et la réponse clinique apportée par les professionnels, la possibilité d’une coopération établie et non seulement fantasmée.
Scénario d’exclusion : la fin est à l’initiative de l’éducateur et/ou de l’équipe estimant que l’usager ne respecte pas les termes du contrat ou n’est pas en capacité de l’honorer. Cette interruption prématurée signifie-t-telle l’échec ou le ratage de l’intervention ? Pas sûr, car l’arrêt n’empêche pas que l’accompagnement continue à produire des effets. Chez l’usager qui a pu prendre conscience de certaines responsabilités lui appartenant en propre et d’autres qu’il ne peut pas assumer. Chez les professionnels qui auront intérêt à tirer parti de l’évaluation de leur intervention en termes de choix stratégiques, d’orientations théoriques mobilisées ou méconnues, d’investissements subjectifs assumés ou refoulés… Il sera également utile de s’interroger sur les bénéfices de cette exclusion pour les professionnels qui, se sentant débordés, préfèrent lâcher la situation, sans sous-estimer ceux pour l’usager qui n’aura plus à pâtir d’un contre-transfert négatif de l’équipe.
Scénario de résistance : l’usager prend l’initiative de mettre un terme à l’accompagnement proposé. Rupture d’adhésion à une démarche vécue dès le début ou devenue au fil des jours une contrainte ? Rejet d’une intervention trop intrusive de la part de l’équipe, perçue comme prise en charge et non comme prise en compte ? Confrontation à des exigences insupportables pour lui ? Accentuation de ses symptômes ? Opposition affirmée aux orientations préconisées ? Autant de configurations plus ou moins contradictoires qui nécessitent d’être analysées, pour tenter de faire la part des choses entre les responsabilités de l’intervenant, celles de l’institution et celles de la personne accompagnée. On notera cependant que la décision venant de l’usager émane de sa capacité à poser un acte qui n’est pas nécessairement assimilable à un passage à l’acte. La résistance de l’usager le conduisant à anticiper la fin peut en effet marquer un point d’avancée dans sa trajectoire.
Ces scénarios schématiquement esquissés peuvent parfois se combiner au cours d’un même parcours. Si le scénario de coopération visant une fin négociée est probablement plus satisfaisant pour les équipes, encore faut-il examiner de près les résultats effectifs de l’accompagnement pour la personne. Ce qu’elle gagne, par exemple, à accéder à un emploi, en termes d’autonomie financière, de revalorisation personnelle et familiale, d’acquisition de droits…, mais aussi les frustrations éventuelles qu’elle doit supporter, car rien ne dit que le travail salarié obtenu mette le sujet à l’abri de la précarité, soit source d’apprentissage et de bénéfice narcissique… On ne chantera pas trop vite, contrairement au refrain fort connu, que « le travail c’est la santé » pour tous. Dans tous les cas on évitera d’idéaliser une normalisation réussie et de diaboliser un échec plus ou moins effectif. Car l’arrêt d’un accompagnement n’est qu’un moment dans un processus : c’est une fin, une ponctuation, une scansion et en même temps l’amorce d’un autre parcours.
L’analyse clinique au cas par cas s’avère ici particulièrement indispensable pour tenter de mettre au clair les contradictions inexorables que tout accompagnement traverse et produit, et ce quels que soient les scénarios décrits.
Jean-Jacques Bonhomme – Février 2017