Le candidat de droite à la prochaine élection présidentielle en France exprime des critiques sévères envers le système judiciaire, qu’il accuse même « d’assassinat politique » – déclaration étonnante venant de quelqu’un qui parait fort vivant. Bien d’autres, politiques et capitaines d’industrie notamment, ont exprimé, expriment et exprimeront encore leur courroux face aux convocations policières et judiciaires, ne daignent pas y obtempérer, crient au scandale. L’éventualité de devoir rendre (des) compte(s) leur est insupportable. S’ils continuent de croire en la justice de leur pays, encore faut-il que cette dernière ne s’abandonne point à ses penchants abusifs.
Partons du courroux souvent exprimé par ces protagonistes. S’y déploie quelque chose de la vertu outragée et du harcèlement immérité. Réaction probablement sincère, ces personnages sont choqués par le fait que des lois qu’ils ont dans certains cas propulsées leur soient en outre appliquées. Leurs opposants et parfois leurs partisans leur font cependant remarquer que c’est là le régime commun, valable pour tout un chacun. La présomption d’innocence aidant, être entendu en tant que témoin assisté n’implique nullement une mise en examen au civil ou au pénal. Qu’importe ! C’est là que le bât blesse – dans le fait que le régime commun, rien de moins que commun, leur soit appliqué ! Apparemment tout le monde n’est pas au courant que les lois, soit ne concernent pas du tout ceux qui les conçoivent et les font respecter à d’autres, soit s’appliquent avec parcimonie aux gens situés naturellement au-dessus de la mêlée, très au-dessus, presqu’en état d’apesanteur sociale. A l’ombre de ce principe, qu’il faut bien appeler royal, à son tour la candidate d’extrême droite à cette même élection promet des sanctions à ceux des magistrats qui s’entêtent dans cette erreur à son encontre. Qu’on se le dise !
La question de la démocratie vient ainsi au premier plan. Certes, nous vivons dans une démocratie approximative qui gagnerait à s’améliorer dans pratiquement tous les domaines. Tel est d’ailleurs le vécu quotidien de millions de gens, y compris ceux qui peuvent difficilement se dérober aux convocations policières et judiciaires. Evitons, en effet, de sacraliser ce régime : la démocratie ne va surtout pas de soi. Il s’agit d’une réalité partielle autant que d’un immense idéal, d’une ambition, d’un fantasme. Se référer à « La Démocratie » sans autre précaution relève, au mieux de l’ignorance, au pire de la manipulation. Mais ce régime hautement perfectible met à ciel ouvert les tendances absolutistes des puissants, entrave la réalisation de certaines de leurs orientations, représente une relative camisole de contention face aux tendances mortifères du capital, comme dit Marx. Capitalisme et démocratie sont loin de fonctionner à l’unisson. Des aristocrates ne cessent de braver les gueux. Des petits-bourgeois ne cessent d’applaudir, en espérant ainsi conserver leur part du gâteau – fut-il imaginaire.
Les personnages impliqués sont probablement sincères puisque, depuis Freud, la sincérité est juste une vertu consciente – appréciable mais pas exhaustive, jamais sans failles. Ils peuvent être sincères car comme chez tout un chacun, dans leurs ressentis subjectifs s’actualisent des conceptions à propos de la société existante et de celle qui pourrait advenir, dont il faut favoriser ou au contraire empêcher la gestation, à propos aussi de leur place supposément indiscutable en ce bas monde – bref, des postures sociales de classe. Ils parlent de cela. C’est cela qui les fait parler. Il convient donc d’aller au-delà des dénonciations et autres sursauts moraux. Pas pour disculper qui que ce soit, moins encore pour se résigner au monde tel qu’il va – mais pour ne pas se tromper d’adversaire, ni de combat. Etre aussi clair, aussi rigoureux, aussi dialectique que possible. L’épreuve est rude, en effet. Elle ne concerne pas que les gens d’en face – nous sommes tous compromis dans cette affaire qui met en question ce qu’on fait de la démocratie et avec elle. Y compris les jeunes et les moins jeunes qu’on tente de convaincre de respecter les lois.
Saül Karsz – Mars 2017
A lire dans le numéro 630 de mars 2017 de Lacan Quotidien (bulletin Internet) : Marine Le Pen : le confort du pire par Catherine Lazarus-Matet