A l’occasion de ses vœux à la presse en janvier 2018, Emmanuel Macron a manifesté sa détermination à traiter le présumé développement des Fake News. Un projet de loi est en préparation et devrait voir le jour prochainement. Les Fake-News, popularisées par Donald Trump et dont la traduction pourrait être « fausses nouvelles » mais aussi « nouvelles truquées », se répandraient de façon inquiétante dans les médias, dont les réseaux sociaux sont une courroie de transmission ou une rampe de lancement. A première vue, on peut se réjouir de voir l’expansion de calomnies ou de mensonges caractérisés entravée par des initiatives d’ordre politique. Néanmoins, ce débat soulève quelques questionnements, sinon d’inextricables problèmes de fond.
Lorsqu’une nouvelle est épinglée comme fake news, se pose d’emblée la question de son émetteur ainsi que celle de son récepteur. Qui est à blâmer : le journaliste, sa rédaction, les actionnaires à la tête du média, les réseaux sociaux qui la colportent ; ou bien les savoirs certains, les ignorances tenaces, les angoisses nombreuses des destinataires de l’information ? Chacun se trouve, de sa place, être le représentant – plus ou moins complice, plus ou moins conscient – de courants de pensée, de points de vue qui ne peuvent être que partiaux, orientés. Toute information transmise porte la marque de la problématique théorique et idéologique dont son émetteur est le support, le porte-parole jamais neutre. Illustration au-dessus de tout soupçon d’embrigadement idéologique (!) : la parole divine fut colportée dans les « évangiles selon Luc, Pierre, Paul, ou Mathieu… ». De son côté, le récepteur accueille les informations avec son appareillage conceptuel, ses positionnements politiques conscients et inconscients – fake news scandaleuse pour certains, une information deviendra une incontestable certitude pour d’autres. L’impartialité des fournisseurs d’informations et de leurs récepteurs étant impossible, il ne s’agit pas de leur adresser un procès en non-neutralité. Certaines informations sont portées par des intentions délibérées de falsification, un désir de convaincre peu scrupuleux ou une volonté de nuire avérée. C’est dans ces situations précises, mais au prix d’un examen attentif des enjeux à l’œuvre dans la production d’une information, que le recours au qualificatif de fake news peut avoir un relatif intérêt.
La question du décodage de l’information revêt une importance capitale –importance éthique, méthodologique, philosophique et surtout enjeu démocratique. Le cas récent de la plateforme Decodex, créée par le journal Le Monde, en est un exemple. Cet outil permet à quiconque d’entrer le lien web d’un média dans cette plateforme, qui lui attribuera une couleur, indice de sa fiabilité. Etonnante initiative de la part d’un organe de presse qui, en plus de fournir de l’information, s’arroge le droit de jauger la fiabilité de ses concurrents – à moins que la méthode ne s’applique également à ses propres contenus ?
Dans la guerre menée aux fake news, semblent se dessiner au moins deux types de cibles. L’une explicite : diffamations, mensonges et informations sciemment distordues véhiculés par des médias, dont la propagation pourrait être entravée par des décodeurs ou des lois anti-fake news. Reste que définir/délimiter pareils qualificatifs (diffamation, mensonges…) est le fruit de luttes et d’alliances, témoigne de l’hégémonie de certaines idéologies à des époques données. L’autre cible, moins explicite mais pas secondaire pour autant : les sources d’informations dites alternatives, dissidentes ou d’opposition. Ces médias ayant vocation à interroger, sinon à contredire des évidences rapidement énoncées ainsi que des discours dominants largement répandus, la probabilité est forte que leur fiabilité soit contestée par les organes de décodage d’informations. Le journal Fakir ou encore certains médias pro-Brexit (Daily Mail) n’ont pas reçu l’adoubement de ces instances – certaines non-neutralités sont ainsi plus suspectes que d’autres.
Les débats, y compris parlementaires requièrent toute notre attention. Si l’on est en droit d’exiger des médias des informations aussi objectives que possible, il convient d’élucider les logiques de leur inévitable non-neutralité, leur degré de partialité, leurs orientations. C’est le jeu entre cette objectivité nécessaire et cette neutralité impossible qui est central.
Sébastien Bertho – Juin 2018
Voir les références de l’article en cliquant sur LPDC 91 – Des news dites fake