You are currently viewing Anne-Sophie VOZARI – Une mère suffisamment bonne ?

Anne-Sophie Vozari est sociologue, rattachée à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. Dans la cadre de sa recherche doctorale, ses travaux ont porté sur l’encadrement de la maternité autour de la naissance. Elle a conduit des enquêtes au sein de différentes institutions en périnatalité (maternité hospitalière, PMI, pédopsychiatrie) et s’est notamment intéressée aux transformations subjectives induites par le traitement des dépressions maternelles en pré et post-partum. Actuellement chercheuse postdoctorante à l’Inserm, elle conduit une recherche sur la prévention des conduites suicidaires.

Pratiques Sociales : en quoi la problématique de ces Journées d’Etude et de Formation vous semble-t-elle représenter un enjeu contemporain et quelles thèses, arguments ou messages comptez-vous développer lors de votre intervention ?

Anne-Sophie Vozari : Lorsqu’il s’agit d’engendrer, d’aimer, d’éduquer, en bref lorsque l’on est une famille ou que l’on désire faire famille, rien n’est “naturel”, instinctif ou spontané. Les possibles sont limités, et nos vies familiales régies par des demandes, des exigences et des prescriptions. Les débats suscités par les évolutions du droit familial nous le rappellent régulièrement. Qu’il s’agisse, par exemple, des réformes du droit de garde et de l’autorité parentale, de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires ou en couple de même sexe, du statut de beau-parent ou du développement d’un « droit des origines », les mutations familiales n’en finissent pas d’être un problème. Mais les controverses qui ponctuent l’agenda législatif ne doivent pas faire oublier que la politique de la famille se détermine également, et peut-être surtout, par le travail quotidien des agents en charge de sa régulation, de son administration et de son traitement. En effet, si la force publique prescrit, par le droit, qui peut en être et comment, la famille fait aussi l’objet d’un pouvoir régulateur lorsque les institutions travaillent avec et sur les individus pour faire de leurs agencements privés des configurations normalisées et normalisantes.

Depuis l’instauration des premières lois relatives à la protection de l’enfance, le regard de l’Etat s’est déployé toujours plus avant dans le fonctionnement des familles. Nombreuses sont aujourd’hui les institutions qui encadrent, aident, accompagnent ou soutiennent les parents au nom de la protection de l’enfance, affirmant et renforçant dès lors une certaine « acceptabilité » familiale. Si elles ont longtemps été appréhendées par les sciences sociales comme la forme institutionnelle d’une « police des familles », ces institutions et leurs agents font en réalité plus que réglementer, contrôler, surveiller ou limiter. En diffusant des discours situés sur l’enfance, ses attentes ou ses nécessités, elles participent activement à la fabrique d’une vérité consensuelle sur les besoins universalisés d’une classe d’âge et – à travers elle – sur les formes obligées d’exercice d’une condition parentale. En effet, en définissant les attentes des enfants et en déployant des pratiques visant à s’assurer de leur bien-être, ces institutions participent activement à la détermination d’une manière conforme d’exercer la fonction parentale.

À partir de l’analyse de l’accompagnement de la maternité autour de la naissance, cette intervention entend interroger les conséquences de la circulation des discours experts sur la conformité parentale et les effets subjectifs de l’injonction à la bonne parentalité. Plus qu’un simple dispositif de contrôle, je montrerai comment et à quelles conditions les impératifs de la protection de l’enfance agissent sur la manière dont les (futures) mères se conçoivent, se pensent mais aussi se cultivent et se travaillent pour advenir progressivement comme sujets attendus : des mères suffisamment bonnes.

Principales publications :

2020 (dir. avec Sébastien Roux), dir. Familles : nouvelle génération, La Vie des Idées, PUF

2020 (avec Sébastien Roux), « L’ordre des familles », Familles : nouvelle génération, La Vie des Idées, PUF

2020, « De la félicité maternelle. Le traitement des dépressions périnatales », Familles : nouvelle génération, La Vie des Idées, PUF

2019 (avec Déborah Guy),  « Je vois ce bébé et là, rien! ». L’encadrement des sentiments maternels autour de la naissance », Sextant, n°36

2017, (avec Sébastien Roux) « Parents at their best : Ethopolitics of family bonding in France », Ethnography, SAGE Publications. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01469128

2016, (dir. avec Coline Cardi, Lorraine Odier et Michela Villani) « Maternités », Genre,Sexualité & Société, n° 16, Automne, mis en ligne le 20 décembre 2016. URL: http://journals.openedition.org/gss/3815

2015, « Si maman va bien, bébé va bien. La gestion des risques psychiques autour de la naissance », Recherches familiales, n°12, pp.153-163

2012, « Surveiller pour veiller sur en Protection Maternelle et Infantile », in Y. Knibielher, F. Arena, R-M. Cid Lopez (dir.), La maternité à l’épreuve du genre, Presses de l’EHESP, Rennes, pp. 109-116.

 

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