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You are currently viewing Sexualité à tous les étages

Tandis que le mouvement #Metoo et ses salutaires dénonciations des agressions sexuelles et sexistes à l’égard des femmes ne cesse de se répandre, d’autres événements de la même nature sont révélés jour après jour. C’est le cas dans le milieu de la TV et du cinéma, au sein de l’Église et de l’armée, en milieu scolaire. Entre le viol comme arme de guerre et le viol intra-conjugal, entre la promotion canapé et les corps monnayés sont concernés des femmes et aussi des hommes, des éphèbes et des séminaristes, des émigré(e)s jeunes et moins jeunes, des thésard(e)s, des élèves à tous les niveaux de l’enseignement. Le droit de cuissage (cullage, en vieux français) continue d’être en vigueur. Si un chiffrage sérieux ne peut être établi, les faits existent, fort nombreux au demeurant.

Chiffrage impossible, en effet. Pour des raisons idéologiques (résistances et réticences à reconnaître ce genre d’événements). Pour des raisons techniques et juridiques (absence d’une coordination nationale et internationale, notamment). Pour des raisons multiples, les victimes ne sont pas toujours pressées et/ou en capacité subjective de se signaler. Et aussi parce que, le plus souvent, ces événements prêtent à des interprétations, voire à des versions tout à fait divergentes, tout en étant l’occasion de maintes outrances et surenchères.

Caractéristiques complexes, pas toutes de la même teneur ni orientées dans le même sens. Quelques remarques partielles peuvent toutefois être avancées. Celles-ci ne prétendent pas éclaircir définitivement le phénomène, mais pourraient contribuer à le démêler. Car il importe de dépasser les réactions plus ou moins viscérales, l’horreur des actes, de gagner quelque peu en lucidité.

Une dimension incontournable. Indiquons, au risque de rappeler quelques lapalissades qui ne le sont pas forcément, que la sexualité est une dimension incontournable des vivants. Tout le travail de la civilisation, explique Freud, est de tenter de la gérer en lui imposant des sublimations et des répressions plus ou moins féroces en même temps que des pratiques sociales et des cadres institutionnels qui en organisent l’expression pas toujours excessivement bridée. Entre ces deux tendances [Éros et Thanatos], l’équilibre, obligatoirement inégalitaire, n’en est pas un. Autant dire que les sorties de piste, effectives ou virtuelles, effectuées ou imaginées, sont constantes chez tout un chacun.

Une affaire subjective accomplie en société. Ce n’est jamais la sexualité qu’on peut interdire ou favoriser, la force vitale qu’elle représente, la jouissance qu’elle promet, les frustrations qu’elle déclenche, mais certaines de ses manifestations individuelles et collectives : ses modalités socio-historiques de mise en œuvre. Rien d’étonnant alors à ce qu’il y ait de la sexualité à tous les étages. Condamnable, inadmissible dans maintes occasions, sans aucun doute ! Il n’en reste pas moins que si, en la matière, l’expérience de chacun-e reste singulière, cette expérience s’accomplit ou est au contraire réprimée exclusivement en société, au beau milieu de conventions et de permissions sociales. Impossible d’aborder la question de la sexualité, impossible de la pratiquer sans la prégnance de paradigmes moraux et religieux, de positionnements éthiques, de référentiels conscients et inconscients d’appartenance sociale, d’orientations idéologiques déterminées. Il n’est même pas nécessaire que ces paramètres soient explicites, nommés comme tels. Car ils œuvrent au cœur de l’acte commis, dans ce que celui-ci questionne ou corrobore, dans les rationalisations, consécrations et sanctions qui l’accompagnent.

Une affaire complexe, surdéterminée. Une (non) lapalissade encore : les questions de sexualité sont complexes en raison de l’univers idéologique et politique où elles se posent et qui les traverse de part en part. Univers qui n’est pas un contexte extérieur mais rien de moins que la matière même que les affaires sexuelles ébranlent ou confirment. Y prend place le sentiment de culpabilité victimaire, l’indifférence à la transgression, la jouissance que l’acte occasionne. Et aussi la honte de la victime, son incompréhension, son sentiment d’injustice, sa souffrance, parfois le ressenti d’une punition méritée.

Avons-nous tout expliqué ? Certainement pas ! Aucunement ! Mais nous avons probablement identifié quelques éléments significatifs. Ceux-ci contribuent, pas plus, pas moins, à expliquer des événements qui sont loin de se réduire à la seule expérience d’un ou plusieurs sujets, à la remontée de l’instinct primaire à la surface de notre belle civilisation, ni non plus à la domination omniprésente et apparemment indiscutable du masculin sur le féminin.

Ces éléments ne justifient aucune résignation face à l’ordre des choses. Accentuer les causalités sociales c’est dire qu’aucune fatalité n’est aux commandes : loin de tomber du ciel, ces causalités forgées au cours de l’histoire peuvent donc être historiquement défaites. Il devient ainsi possible de poser des questions davantage fondées, qui ouvrent des perspectives et donc des réponses aussi constructives et créatives que possible. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, il y a bien un en-deçà et un au-delà de nos ressentis et de nos émotions : nos explications, nos arguments, nos débats. Plus sans doute que partout ailleurs, les sous-entendus représentent des dangers mortels. L’enjeu n’est pas d’exclure toute sensibilité mais de ne pas la prendre à la lettre. Parce que l’affaire est complexe, il faut des raisonnements à la hauteur. Le débat est ouvert, chère lectrice, cher lecteur.

Saül Karsz – avril 2024 – Texte reproduit dans le blog de l’auteur sur Médiapart

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