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C’est le 25 octobre 1990 que Louis Althusser a été inhumé dans le petit cimetière de Viroflay. C’était il y a 30 ans.

Saül Karsz lui rendait hommage avec le texte Louis Althusser Lettre de Pratiques Sociales

En cliquant sur le titre, vous pourrez accéder à la version PDF imprimable du texte intégral ci-dessous.

Vous pouvez également lire un autre article de Saül Karsz sur Louis Althusser (« Je ne suis pas marxiste », Humanisme et/ou marxisme, Science-idéologie-pratique sociale) en cliquant sur le lien https://www.universalis.fr/encyclopedie/louis-althusser/

Louis Althusser (« La lettre de Pratiques Sociales », octobre – novembre 1990)

Nous l’avons enterré à Viroflay (Yvelines), le 25 octobre 1990 à 15h.

Son œuvre, sa parole, sa présence et même les souffrances intenses qui furent les siennes ont marqué plusieurs générations et infléchi, dans de multiples registres, bien des manières de voir et de penser, – presque dans le monde entier.

Il y a un « avant » et un « après » Althusser.

Ce fut un maitre. Il laissait apprendre. Il poussait au travail. On pouvait s’y référer : pour ou contre, peu importe finalement, mais c’est tellement exceptionnel qu’on puisse compter sur quelqu’un…

Louis Althusser a travaillé sur Marx comme Jacques Lacan sur Freud : afin de le rendre contemporain, non pour l’actualiser (soit pour le rendre supportable et consensuel) mais pour autoriser chacun de nous à le lire à son tour, à l’étudier et à découvrir cette extraordinaire banalité que Marx était un chercheur. A savoir quelqu’un qui cherche, qui trouve, produit du nouveau, instaure une coupure et marque une date et qui, en même temps, s’égare et se fourvoie, fait plus ou moins ce qu’il dit, – quelqu’un qui ne finit jamais, ni n’arrive à clore.

Il n’a pas des vérités mais des concepts en rectification constante ; pas des convictions mais une éthique, – et ce avant même que l’éthique devienne si moderne et si passablement passe-partout. Parce qu’il cherche il se trompe, parfois lourdement ; parce qu’il se trompe il peut avoir raison, parfois radicalement. Ni doctrine biblique, ni verset satanique, à partir d’Althusser Marx devient bien ordinaire : un auteur, c’est-à-dire quelqu’un qu’il faut lire. Ni à révérencier ni à pourfendre : à déconstruire. Pour, contre, avec.

Les « ismes » le méconnaissent, qui usent de la langue de bois car ils ont beaucoup de difficultés à parler.

On ne comprend guère l’œuvre de Louis Althusser si on croit qu’elle travaille exclusivement, ou même fondamentalement, sur Marx. Celui-ci y est un texte autant qu’un prétexte. Le « retour à Marx », qu’il faut rapporter au « retour à Freud » chez Lacan, a bien lieu dans cette deuxième moitié du XXème siècle : avec de l’épistémologie, de la linguistique, de la psychanalyse, avec des événements nationaux et internationaux essentiels. Sans ceci, le concept-clé d’idéologie, auquel Louis Althusser apporte des éléments précieux, reste incompréhensible ou tout au plus purement sociologique. Et dans ce concept-clé d’idéologie, notre XXème siècle finissant nous échappe tout à fait.

Car tel est, au fond, ce que Louis Althusser a tenté de faire, ce qu’il a réussi autant que raté : il a tenté de penser, ce qui est bien autre chose que panser, conforter, commenter. Il y est question de tranchant, d’analyse, de mise à nu. Ses écrits sur Marx représentent, en ce sens, des documents peu ou prou autobiographiques, les traces de la longue marche de quelqu’un qui s’entêtait à penser à ses risques et périls.

Pour penser, en effet, il faut se risquer à la béance, à certaines béances. On ne pense pas qu’avec la tête. On n’a pas raison, ou tort, qu’intellectuellement. Ce qui n’exclut surtout pas la tendresse : Louis en avait, et beaucoup…

Et si la vie de Louis, d’une part, et l’œuvre d’Althusser, de l’autre, ne s’expliquent pas l’une par l’autre, si aucune causalité ne les relie, elles ont peut-être en commun de rappeler que la tragédie n’est pas qu’antique. Ni chez Althusser, ni chez personne.

C’est peut-être pour cela que, depuis des années, cette œuvre est frappée de silence. Louis Althusser n’a plus publié mais surtout on l’a, un peu partout, oublié, – soigneusement oublié. Ses ouvrages, épuisés, ne sont guère étudiés, les « jeunes générations » ne semblent même pas au courant qu’ils existent. S’y référer parait même anachronique, démodé. Périodiquement, on annonce que cet auteur est déjà largement dépassé, ce qui, bien entendu, n’est pas du tout impossible : mais des arguments plus ou moins rationnels y seraient quand même les bienvenus… D’ailleurs, cette même annonce est faite régulièrement à propos de la psychanalyse. Elle revient, actuellement, à propos du salutaire dépérissement politique et idéologique des pays de l’Est (l’œuvre d’Althusser en fourmille de concepts prémonitoires) : mais à force d’y souligner la faillite du socialisme on oublie de se demander si c’est bien le socialisme qui y échoue ou bien une de ses terrifiantes mises en scène. Encore un oubli soigneux.

Reste ceci : frappé du double silence de l’auteur et de l’époque, Louis Althusser n’est vraiment pas à la mode. Le premier de ces silences est dorénavant définitif. Quant au second, peut-être s’explique-t-il parce que l’œuvre est déjà vieille, – à moins qu’au contraire, paradoxalement, elle reste trop contemporaine ?

Ces funérailles du 25 octobre 1990 à 15h à Viroflay avaient quelque chose d’irréel. Parce que la mort défie toute rationalisation : toujours obscène, hors spectacle, hors discours, c’est du réel brut. Et aussi parce que, tous comptes faits, un philosophe dont on peut ou non partager les résultats mais dont la démarche demeure incontournable…, un philosophe ne s’enterre surtout pas.

Saül Karsz – octobre 1990

 PRINCIPALES PUBLICATIONS DE LOUIS ALTHUSSER :

 La politique et l’histoire (Paris, P.U.F., 1959)

  • « Note du traducteur », dans L. Feuerbach, Manifestes philosophiques, (Paris, P.U.F., 1960)
  • « Philosophie et sciences humaines » (Revue de l’enseignement philosophique, n°5, juin – juillet 1963, p. 1-12)
  • « Problèmes étudiants » (La nouvelle critique, n°152, janvier 1964, p. 80-111)
  • « Présentation » à l’article de P.Macherey, « La philosophie de la science G. Canguilhem. Epistémologie et histoire des sciences » (La Pensée, n°113, 1964, p. 64-62)
  • Pour Marx (Paris, Maspero, collection Théorie, 1965, repris ensuite dans la Petite Collection Maspero)
  • Lire le Capital I et II (idem, repris dans Petite Collection Maspero)
  • « Sur le Contrat social (les décalages) », cours à l’E.N.S. repris dans Cahiers pour l’analyse, n°8, 1966)
  • « Une lettre sur l’art à André Daspre » (La nouvelle critique, avril 1966)
  • « Crémonini, peintre de l’abstraction » (Démocratie nouvelle, août 1966)
  • « Sur le travail théorique. Difficultés et ressources » (La Pensée, n°132, avril 1967)
  • Philosophie et philosophie spontanée des savants [cours collectif professé à l’E.N.S., 1967] (Paris, Maspero, 1974)
  • « La philosophie comme arme de la révolution » (La Pensée, n°138, mars-avril 1968)
  • Lénine et la philosophie (Paris, Maspero, 1972
  • Réponse à John Lewis (Paris, Maspero, 1973)
  • Eléments d’auto-critique (Paris, Hachette, 1974)
  • Positions (Paris, Editions Sociales, 1976). Contient entre autres l’article : « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat » et le texte « Soutenance d’Amiens »)
  • Histoire terminée, histoire interminable » avant-propos, in Dominique Lecourt, Lyssenko : histoire réelle d’une science prolétarienne (Paris, Maspero, 1976)
  • Ce qui ne peut plus durer au Parti Communiste français (Paris, Maspero, 1978)

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