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You are currently viewing Et même les vieux riches !?

Scandales de l’ORPEA – au pluriel, car de très nombreux EHPAD sont concernés ainsi que des cliniques psychiatriques appartenant à la même multinationale, et probablement des maisons de retraite logées à la même enseigne. Des politiques similaires y sont développées en matière de gestion du personnel, de respect tout relatif du droit du travail, de prestations servies aux supposés bénéficiaires [voir ci-après article de Monique Carlotti]. ORPEA n’en a cependant pas l’exclusivité. Dans moult domaines, toutes sortes d’entités privées et aussi publiques font de la pensée managériale et du culte du profit à tout prix des critères incontournables, normaux et évidents. Il arrive que leurs dirigeants s’étonnent du procès qu’on leur intente, les obligeant à quitter leurs postes avec de minces indemnisations d’à peine 6 chiffres. Les Conseils d’administration semblent peu ébranlés par cette situation et les actionnaires guère émus, quoique inquiets d’un tarissement de la manne. Les personnels témoignent de leurs complicités involontaires mais bien réelles, font le dos rond en attendant des temps plus propices, cherchent à se protéger et à protéger des métiers souillés par le productivisme. Les organismes de contrôle insistent à dire qu’ils ignoraient ce que pourtant ils connaissent un peu, sinon beaucoup. Les familles sont plus ou moins brutalement confrontées au fait que leurs ainés ne se trouvent vraiment pas en de bonnes mains, les égarements du grand âge ne les empêchant pas d’avoir raison dans leurs doléances. Même s’ils semblent astreints à un mutisme généralisé.

S’agit-il là d’une variante – étudiée dans les Ecoles Supérieures de Commerce en termes d’optimisation fiscale, marché noir, externalisation des coûts – d’économie souterraine ? Celle-ci, expliquent les manuels officiels, est pratiquée par des conglomérats mafieux qui échappent aux règles économiques et sociales et au contrôle de l’État, ne donnent pas lieu à des prélèvements obligatoires (fiscaux ou sociaux) et faussent le jeu de ce que certains, probablement mal informés, appellent encore « la libre concurrence ». Conglomérats fort ramifiés, pieuvres implacables qui ne cessent de prospérer dans des pays en cours de fascisation de plus en plus avérée. Au point qu’après les dénonciations en cours, la légitime horreur réveillée par ces scandales, des lois de colmatage votées en urgence – les urgences étant à imprévoyance, à l’indifférence et même au cynisme ce que les édulcorants sont au sucre – quelques têtes tomberont sans doute, des pénitences et des remontrances seront infligées, des conglomérats changeront de nom (ripolinisation courante) – et ces affaires continueront de plus belle, davantage enrobées s’il le fallait. Pas impossible d’ailleurs qu’elles inspirent d’autres croisés. Car ces rouages sont indispensables au maintien, pas du tout de l’Ordre Social mais d’un certain ordre socio-historique et donc de ses incontournables désordres, troubles et dégâts. Pas forcément toujours illégales dans la mesure où une bonne partie de la légalité est construite à leur usage, pour faciliter leurs marges de manœuvre.

Est en jeu, certainement pas telle ou telle entreprise particulière mais un système global, une logique systémique. Des têtes peuvent tomber et des structures être dissoutes puisque leur remplacement est, d’emblée, déjà prêt.

Certes, mais pourquoi s’en prendre aux personnes âgées dépendantes et/ou aux malades mentaux ? Les tarifs de mise dans les établissements cités fournissent une première explication. En effet, les ponctions sur 500 sujets des classes aisées sont aussi rentables, sinon davantage, que les économies effectuées sur le dos de 1000 individus des classes populaires et moyennes. D’autant plus que l’action sur les premiers (résidents) va de pair avec l’action sur les seconds (personnels) ! Un va-et-vient de consolidations réciproques, en somme.

Quid alors des classes sociales et des rapports de classe quand même les vieux et les vieilles des classes aisées deviennent, comme les pauvres, des proies ?

Il faut savoir que si des barrières financières et culturelles protègent les membres des classes aisées de certaines prédations du système dont ils entendent profiter, ces barrières ne sont aucunement étanches ni définitivement solides. Donnée majeure : les classes sociales ne sont pas seulement des ensembles d’individus et de groupes ; elles comprennent également des relations interpersonnelles, des alliances matrimoniales, des affinités et des divergences idéologiques, des conformations psychiques, des goûts et dégoûts typiques, des styles de vie, des accords politiques, des dispositifs, des pouvoirs et des subordinations. « Il ne s’agit ici des personnes – écrit Marx dans la première édition du Capital -, qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue […] peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quand bien même il parviendrait à s’élever, subjectivement, au-dessus de ceux-ci. »

Et si, d’après l’adage, quand on aime on ne compte pas – il n’en reste pas moins que quand la comptabilité devient l’occupation principale il est improbable de pouvoir, en plus, aimer. Sauf, peut-être, comme le loup aime le Chaperon Rouge.

Le système actuel ne connait de limites que temporaires, et de contentions qu’éphémères. En attendant mieux – pour certains. Personne n’en est à l’abri. Ni les pauvres, par définition, ni certains des riches, par situation. Le capitalisme a à se protéger de ses adversaires déclarés et à contrer ses amis conjoncturels. Ce ne sont pas les scandales qu’il faut finalement épingler mais ce qui les rend possibles : nullement l’effet mais ses causes, nullement la commisération mais les idéologies. A l’indignation virtuose quoiqu’instable préférons l’argument parfois aride quoique aussi solide, porteur, entreprenant que possible.

Saül Karsz – février 2022

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