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Dominique est fou, et même un grand fou ! C’est en tout cas ce qu’en disent les infirmiers, le psychiatre, des membres de sa famille – lui-même ne conteste pas cette assertion. Fort d’un parcours de près de 25 ans en psychiatrie, Dominique présente toute une batterie de symptômes orientant son diagnostic vers une schizophrénie sévère et résistante : hallucinations, délire, morcellement, dissociation, discordance… Il n’est donc pas rare que son état de santé occasionne des périodes d’hospitalisation. C’est alors que bien souvent, il se présente, aux dires des soignants, dans une forme de toute-puissance. Il faut dire que, espiègle et vif d’esprit, Dominique sait se jouer des injonctions qui s’imposent à lui. Peu soucieux des règles de vie en collectivité, il fume dans sa chambre, dans les couloirs, ne porte pas de masque et garde en permanence un œil sur la porte d’entrée du service afin de prendre ses jambes à son cou dès que possible pour rentrer chez lui (il habite à quelques dizaines de mètres de l’hôpital) … Aux incessantes réprimandes du corps médical et soignant, Dominique répond avec aplomb :

je suis ici en soin LIBRE !
Préalable important : notons que le signifiant « libre » mérite ici la plus grande attention. En effet, Dominique a toute sa vie durant exercé la profession de surveillant pénitentiaire. Le maton qu’il a été en connait un rayon en matière de (privation de) liberté. Lui qui toute sa vie a été au contact de ceux qui en sont privés. A titre d’exemple, lorsque les pouvoirs publics ont proclamé, en période de crise sanitaire, des mesures réorganisant de manière drastique la circulation sur le territoire des uns et des autres, c’est avec la plus grande véhémence que Dominique s’est employé à contester ces règles, et avec une certaine habileté à les contourner quand il le pouvait.

Il importe, si l’on veut prendre en compte et accompagner Dominique, de resituer ces manifestations dites symptomatiques dans leur portée idéologique, politique, de comprendre ce qu’elles expriment vis-à-vis d’un certain état du monde. Si chaque patient est porteur de symptômes, troubles, manifestations singulières de sa pathologie, il est également vecteur de valeurs, positionnement subjectif, il entretient un rapport plus ou moins conflictuel avec les normes en vigueur. Gardons-nous d’une posture psychologiste qui n’en parlerait qu’avec pathos, mettant en avant des causalités exclusivement psychiques ou neurologiques ; le symptôme, invention singulière du sujet [Freud], est aussi déterminé par des valeurs, principes, fidélités de classe.

C’est d’ailleurs l’une des fonctions que l’on peut attribuer à la folie : interroger la supposée normalité des normes dominantes.

Sébastien Bertho – mai 2022

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