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Vainqueur des récentes élections présidentielle et législative, le Parti Socialiste français « détient tous les pouvoirs », – constatent certains, se réjouissent d’autres, s’offusquent d’autres encore qui pourtant trouvaient évidentes, sinon nécessaires, les longues décennies où la droite détenait ce monopole… « Tous les pouvoirs » donc. Formule bien moins évidente et réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît !

Formule elliptique. Elle se nourrit de la confusion entre « centres de décision » (assemblées, gouvernement) et « pouvoir », celui-ci étant la capacité d’imposer des mesures obéissant à certaines orientations dans le cadre d’une politique d’ensemble.  En principe, occuper les postes de commande des centres de décision équivaut à détenir le pouvoir, des pouvoirs, de la puissance et de l’autorité : pour diriger il faut être président, ministre, chef de telle ou telle institution stratégique. En principe seulement. Car le pouvoir ne revêt pas toujours et partout des modalités identiques : lors des conjonctures révolutionnaires, où « le pouvoir est dans la rue »,  les mesures édictées à partir des centres de décision peuvent rester lettre morte ou s’avérer contre-productives. La formule « tous les pouvoirs » énonce le pari d’après lequel il faut et il suffit d’être à la tête pour que le reste suive…  Rien n’est moins sûr !

L’exercice concret et réel du pouvoir suppose des alliances, des négociations et des concessions, des avancées concluantes, et quelques inexorables retours en arrière. Le pouvoir n’est pas une chose qu’on possède ou qu’on perd, c’est une relation entre des groupes, des institutions, des idéologies, expliquait jadis le grand économiste et historien Charles Bettelheim (1913-2006). Ceux qui arrivent au pouvoir arrivent en réalité à des centres de décision qui ont bien une histoire conservatrice ou réformiste, avec des pesanteurs et des ouvertures ad hoc, qui dans tous les cas préexistent aux nouveaux arrivants. Et c’est forcément à partir de ces centres par définition non neutres que ces arrivants escomptent, imaginent, supposent, dessinent un exercice du pouvoir obéissant à des formes et des contenus partiellement ou complètement différents de ceux qu’ils ont combattus et qui sont imprimés dans les institutions qu’ils conquièrent. Ceci suppose que dans le quotidien – et non seulement dans les grands projets d’avenir -, ces nouveaux arrivants puissent concrétiser cet exercice, le soutenir, le mener de l’avant. Cela non plus n’est pas sûr.

Changer de dirigeant, voire de gouvernement, n’implique nullement qu’on change d’orientation, de gouvernance, d’objectifs et de moyens. D’ailleurs, l’exercice du pouvoir n’a rien d’une affaire personnelle, même si le dirigeant utilise beaucoup la première personne du singulier (« Je »), peut-être pour rappeler ses liens intimes, sinon fusionnels, avec l’institution ou le pays qu’il dirige (prototypes en la matière : Charles de Gaulle, François Mitterrand). Il ne s’agit  pas d’affaire personnelle car c’est toujours par délégation qu’un individu ou un groupe d’individus exercent le pouvoir : par délégation d’un courant, d’un parti, d’une coalition, d’une tendance, d’un rapport de forces. Parce qu’il gouverne avec eux, il a des comptes à leur rendre. Sans oublier que même sans démagogie électorale, les candidats à la direction d’une institution ou d’un pays ne sont pas exactement les mêmes quand ils parviennent à occuper effectivement cette place : encore faut-il qu’ils disposent d’un certain nombre d’autorisations internes, subjectives, malgré ou grâce aux hardiesses et aux paniques dont ils ne sont pas forcément au courant…  Encore faut-il qu’ils continuent de faire la même lecture de leurs « promesses électorales » et des « réalités de terrain ».

La gauche détient-elle en France tous les pouvoirs, ou plutôt un nombre significatif de postes de commande ? Question déterminante car les modalités concrètes d’exercice du pouvoir et les décisions prises définissent de quelle gauche il s’agit, ils viennent dire il s’agit bien de gauche …

Saül Karsz – Juillet 2012

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