Les 10 000 morts dus à la COVID-19 dans les EHPAD ont suscité de nombreux articles mettant en cause les pouvoirs publics et les directions d’établissements ; une plainte contre X fut déposée par un collectif de familles, leurs avocats demandant que cette affaire nationale soit traitée par le pôle Santé publique de Marseille (comme les affaires du Médiator et du Levothyrox).
Ce X signifie qu’il va falloir identifier les présumés responsables.
Le premier d’entre eux est un virus : le traiter suppose de recourir à un traitement adéquat, inexistant à ce jour. S’y ajoutent des mesures de protection difficiles à appliquer, un confinement qui regroupe les personnes contaminées avec les autres, l’absence de masques de protection qui dans certains établissements ne sont arrivés qu’après la livraison des housses mortuaires, la relative pénurie de personnel en raison de la maladie, de la garde obligatoire des enfants à la maison et d’un quota de personnels d’accompagnement déjà faible en amont de la pandémie.
Certains messages publicitaires comme l’incitation à souscrire un contrat obsèques et en assumer les frais rappellent qu’on doit se préoccuper de ne pas être une charge. D’autres déclarations sont plus explicites : le philosophe Comte-Sponville (interview France-Inter, 22 avril 2020), énonce : « je me demande ce que c’est cette société qui est en train de faire de ses vieux une priorité » relevant ainsi, outre un curieux cynisme de sa part, que ceux que nos dirigeants nomment avec un paternalisme affecté « nos anciens » ou « nos ainés » ne sont justement pas une priorité.
Le placement en établissement reste le plus souvent un choix par défaut. Le maintien d’une personne dépendante à son domicile suppose la présence d’un aidant familial et d’un service d’aide et de soins. La question du placement se pose lors d’une rupture dans cette organisation (dégradation brutale de l’état de santé, décès du conjoint…). Lors du veuvage non seulement l’aidant disparait mais les revenus s’amenuisent, les enfants (dans leur majorité les femmes, filles ou belles-filles) ne sont pas toujours en mesure de prendre le relais en raison des autres charges qu’elles assument (emploi, fonction grand-parentale) ou de l’éloignement. Enfin le choix du placement dépend aussi des liens tissés avec la personne dépendante. Il suscite l’espoir que son parent bénéficiera de tout ce qui lui est nécessaire et de la permanence de soins et de présence, il soulage donc d’une responsabilité de tous les instants.
Le développement des EHPAD est lié à ces conditions de vie et s’appuie sur le fait qu’en plus du versement de la pension de retraite, 75% pour cent des retraités sont propriétaires de leur logement (source INSEE), voire d’une résidence secondaire. Même si les revenus liés à la retraite sont insuffisants, le paiement à l’établissement est garanti par une hypothèque sur le patrimoine, ou par la facturation du reste à charge aux enfants, très minoritairement par le Fonds d’aide sociale[1].
Ce secteur est aussi celui dont les quotas de personnels d’accompagnement s’avèrent largement inférieurs, à dépendance égale, au secteur du handicap[2] et où les niveaux de qualification et donc les salaires sont les plus bas. Et le journal Le Monde de titrer « Les maisons de retraite, un business rentable, 06.12.2017 ».
Se conjuguent ainsi : des vieux dépendants dont l’utilité sociale est déniée mais dont les ressources sont garanties, des intérêts financiers importants (6 des 100 plus grandes fortunes de France sont propriétaires d’EHPAD), et enfin une politique qui encourage des recrutements insuffisants avec un faible niveau de qualification.
Cette pandémie et les 10 000 morts des EHPAD mettent au grand jour le traitement infligé de longue date à tous ceux qui sont considérés comme des « vies nues » (Agamben) dans les sociétés néolibérales. Et c’est ce qu’il nous appartient encore et surtout de comprendre afin de penser la vie et l’accompagnement des vieux qui sont en réalité « des personnes chronologiquement plus âgées que d’autres[3] ».
Monique Carlotti – juillet 2020
[1] Le prix de journée en EHPAD se décline en trois postes : 1 /les soins médicaux et paramédicaux sont pris en charge par la sécurité sociale. 2/ selon le niveau de la perte d’autonomie, l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) est versée par le conseil départemental, son montant varie en fonction du niveau de dépendance et des revenus et n’est pas récupérable, 3/ les prestations hôtelières qui peuvent éventuellement bénéficier de l’ASH par le fond d’aide social et sont récupérables sur héritage.
[2] Christophe Capuano, Que faire de nos vieux ? Une histoire de la protection sociale de 1880 à nos jours, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.