Notamment issu de la psychologie sociale et de la psychologie du travail, le postulat de la résistance au changement comme phénomène naturel des sujets et groupes humains a pour étayage un panel d’arguments : la peur d’affronter l’inconnu, une mauvaise compréhension des enjeux, des postures conservatrices, une communication défaillante dans l’entreprise… Autant d’éléments qui n’ont en fait rien de naturel.
Happée par des discours politiques et managériaux depuis des décennies, la soi-disant résistance appelle, pour la détourner, à témoigner de davantage de pédagogie ou à manier une meilleure communication en faveur du changement. Proposons ici quelques ponctuations sur ce thème.
Penser que l’on peut résister au changement – à tout changement – s’avère partiellement illusoire, d’autant plus si l’on croit que la résistance – elle aussi au singulier – puisse être d’un seul tenant. La perception du changement comme étant par essence positif, progressiste, est souvent corrélé à ce postulat. Des formes de résistance plurielles, pas toujours concordantes, partiellement homogènes face à des changements eux aussi pris dans des contradictions, correspondent davantage à ce que tout un chacun peut expérimenter. Parler de résistances à certains changements permet d’appréhender davantage la complexité de ce qui se joue en matière de luttes sociales, de tensions institutionnelles ou même de guerres intra-familiales. La résistance au changement positionne de facto le résistant dans la posture du conservateur, porteur d’un certain désir de statu quo. Penser en termes de résistances à des changements permet de pointer que tout positionnement – résistant y compris, donc – est porteur de dimensions idéologiques nouées à des logiques inconscientes, partiellement alliées à certaines et opposées à d’autres.
Dès lors que les acteurs ou destinataires du changement ne sont pas ou peu associés à la construction de ses contours et de son contenu, il semble fort probable (voire souhaitable) que des formes de résistance apparaissent à l’endroit des projets proposés/suggérés/imposés. La co-construction des projets (institutionnels, d’accompagnement, de l’enfant…) ou le renouveau des formes de gestion coopérative (SCP, SCIS…) nécessitent que les différents acteurs s’impliquent de façon effective dans les processus de changement, à changer au moins partiellement le changement.
Invoquer la résistance au changement constitue l’une des stratégies discursives régulièrement mobilisées par les groupes sociaux en position hégémonique [A. Gramsci]. A savoir exposer certaines options (politiques, institutionnelles…) comme relevant Du Changement non interrogeable puisque supposé répondre à des logiques indépassables et non réfutables[1]. S’ensuit une homogénéisation de toute forme d’opposition considérée comme résistance. Laquelle résistance pouvant se voir affublée d’une batterie langagière empruntée à la psychologie, ou plutôt au psychologisme (fantasme, déni de la réalité, paranoïa, persécution…).
Clause non accessoire : la résistance n’est pas nécessairement mortifère. Postulons que l’un des moteurs des sociétés, des cultures, des institutions ou groupes s’origine dans les luttes entre les forces qui y existent. C’est le fruit de ces tensions dialectiques qui insufflent les dynamiques. Rares sont les changements significatifs qui n’ont pas été bâtis au cœur de luttes, désaccords, oppositions plus ou moins explicites et antagonistes. La résistance est donc une composante difficilement contournable, voire démocratiquement souhaitable de tout processus de changement, un moteur et non un frein, une condition nécessaire et non pas une conséquence dommageable.
L’Histoire regorge de périodes où des résistances ont été salutaires sinon salvatrices. Une époque ou une institution qui fantasment l’abolition sinon l’écrasement des formes de résistances, partielles ou totales, comportent un potentiel totalitaire auquel il est urgent de … résister !
Sébastien Bertho – novembre 2021
[1] Les lois (naturalisées voire déifiées) de l’économie de marché par exemple