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La Femelle du requin a besoin de lecteurs ; revue française de littérature contemporaine créée en 1995 par des étudiants de l’université Paris III, elle est animée par un comité de rédaction composé de sept rédacteurs. Voici ce qu’en dit une encyclopédie en ligne :

« Aujourd’hui reconnue, la revue publie trois numéros par an autour d’un thème et de deux auteurs. Elle propose un thème pour chaque numéro, et fait appel aux contributions extérieures (fictions, poèmes, illustrations, textes critiques sur les auteurs étudiés, etc.). Les écrivains rencontrés sont l’objet d’un dossier dans lequel se trouvent une bibliographie critique présentée sous forme de notices, des études, un long entretien illustré de photographies et un texte inédit de l’auteur. L’entretien, autour duquel s’articule chacun des numéros de La Femelle du Requin, se veut un parcours approfondi de l’œuvre des écrivains rencontrés. Certains de ces entretiens sont devenus des références, à l’instar de celui du n° 22, Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? avec Pierre Michon, repris dans Le Roi vient quand il veut. Le nom de la revue est un hommage aux Chants de Maldoror de Lautréamont à travers le film d’Agnès Merlet, Le Fils du requin. »

Avant de parcourir le numéro de l’automne 2023, relisons l’extrait de l’étreinte fabuleuse entre la femelle du requin et « l’homme à la salive saumâtre » dans le Chant II :

Mais, trois requins vivants l’entourent encore, et elle est obligée de tourner en tous sens, pour déjouer leurs manœuvres. Avec une émotion croissante, inconnue jusqu’alors, le spectateur, placé sur le rivage, suit cette bataille navale d’un nouveau genre. Il a les yeux fixés sur cette courageuse femelle de requin, aux dents si fortes. Il n’hésite plus, il épaule son fusil, et, avec son adresse habituelle, il loge sa deuxième balle dans l’ouïe d’un des requins, au moment où il se montrait au-dessus d’une vague. Restent deux requins qui n’en témoignent qu’un acharnement plus grand. Du haut du rocher, l’homme à la salive saumâtre, se jette à la mer, et nage vers le tapis agréablement coloré, en tenant à la main ce couteau d’acier qui ne l’abandonne jamais. Désormais, chaque requin a affaire à un ennemi. Il s’avance vers son adversaire fatigué, et, prenant son temps, lui enfonce dans le ventre sa lame aiguë. La citadelle mobile se débarrasse facilement du dernier adversaire… Se trouvent en présence le nageur et la femelle de requin, sauvée par lui. Ils se regardèrent entre les yeux pendant quelques minutes ; et chacun s’étonna de trouver tant de férocité dans les regards de l’autre. (…) Arrivés à trois mètres de distance, sans faire aucun effort, ils tombèrent brusquement l’un contre l’autre, comme deux aimants, et s’embrassèrent avec dignité et reconnaissance, dans une étreinte aussi tendre que celle d’un frère ou d’une sœur. Les désirs charnels suivirent de près cette démonstration d’amitié. Deux cuisses nerveuses se collèrent étroitement à la peau visqueuse du monstre, comme deux sangsues ; et, les bras et les nageoires entrelacés autour du corps de l’objet aimé qu’ils entouraient avec amour, tandis que leurs gorges et leurs poitrines ne faisaient bientôt plus qu’une masse glauque aux exhalaisons de goémon ; au milieu de la tempête qui continuait de sévir ; à la lueur des éclairs ; ayant pour lit d’hyménée la vague écumeuse, emportés par un courant sous-marin comme dans un berceau, et roulant, sur eux-mêmes, vers des profondeurs inconnues de l’abîme, ils se réunirent dans un accouplement long, chaste et hideux !…

Michelet avait écrit avant Lautréamont sur les amours des requins dans La Mer. Huysmans, lui, saluera ce « bon fol de talent » du comte de Lautréamont.

Le numéro 58 de la revue est consacré à Florence Aubenas, Jane Sautière et Marie Testu. L’entretien avec Florence Aubenas, « Habiter une situation », permet d’expliciter le réalisme de ses livres, le sens politique de sa démarche d’immersion dans un milieu, un métier, souvent sur des périodes de congés ou de disponibilité, avant d’écrire un livre. Les différences entre la démarche d’écriture des articles, en tant que reporter internationale, et celle d’écriture d’un livre au plus près d’une question sociale actuelle éclairent le chemin de celle qui est sortie depuis longtemps de l’image d’ex-otage qui lui collait à la peau. Elle estime que « les partis courent derrière ce qui se passe dans la société ». Sa façon de s’immerger en permanence dans la société et de vivre avec les gens donnent de la force à sa parole dans cet entretien tout en nuances.

Jane Sautière a été éducatrice pénitentiaire après une adolescence au Cambodge. Son livre Fragmentation d’un lieu commun est une série de fragments reprenant les portraits de personnes incarcérées qu’elle a rencontrées ou avec lesquelles elle a travaillé. Pudique, poétique et soucieuse du détail, son écriture autobiographique revient dans Nullipare sur son choix de ne pas avoir d’enfant. Familière de la misère, des conditions de vie collective dans les cités franciliennes, Jane Sautière aime mettre la focale sur les lieux (Stations) ou les vêtements (Dressing). A six ans, elle aurait voulu être cheval, exercer sa liberté pour venir à bout de sa peur de l’enfermement. Cette femme grande, solide et fière de son parcours a assurément beaucoup à écrire de sa riche expérience (« Ecrire parce qu’on est là »).

La revue fait le choix –récent- de consacrer quelques pages à un premier livre, ici de la poétesse Marie Testu dans un entretien intitulé « Le rythme du désir ».

Sur les 72 auteurs invités, lus et commentés dans les numéros disponibles de la revue, 10 seulement sont des femmes, auxquelles s’ajoutent les 3 autrices invitées fin 2023. Parmi ces auteurs, peu sont connus mais beaucoup le deviendront. Le comité de rédaction est assurément composé de grands lecteurs, une espèce à protéger.

Brigitte Riera – janvier 2024

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