La réforme néolibérale contre les retraites, même devenue loi, n’est en rien une affaire close. Il ne s’agit nullement d’une parenthèse dont la fermeture permettrait de reprendre le cours réputé normal des choses. Une empreinte très certainement indélébile a été tracée, dont les effets sont loin d’être, tous, éclos.
Chemin faisant, des opposants et même quelques fidèles demandent à l’actuel président français d’être à l’écoute, d’entendre les colères qui montent, de s’ouvrir aux attentes et aux désespérances qui traversent la société française. Mais il ne le peut pas ! Ce n’est pas une question de volonté. Sont en jeu ses caractéristiques personnelles, lesquelles, loin d’exister en l’air sont marquées du sceau ancestral de sa classe sociale d’origine et d’appartenance : « arrogance nourrie d’ignorance sociale », selon l’historien Pierre Rosanvallon [Libération, avril 2023]. Ces caractéristiques se font jour lors d’une conjoncture singulièrement grave, à enjeux multiples. En effet, des pans entiers de l’ordre du monde sont, plus que questionnés, démembrés, individus et groupes lésés et déçus y sont majoritaires. Ce qui paraissait, il y a peu encore, normal et nécessaire l’est de moins en moins. Des salariés de plus en plus nombreux ne veulent plus de l’inégalité criante en matière de salaires et de conditions de vie, tout comme de futurs professionnels renoncent à l’avenir plutôt confortable qu’ils trouvent décevant et socialement malsain qui les attend. Implacable naturalisation des différences et des clivages, dégradation de pratiquement tous les services, pas que publics d’ailleurs : serait-ce enfin « le nouveau monde » tant vanté ? La réforme néolibérale contre les retraites et sa répudiation par la grosse majorité de la société s’y inscrivent complètement. Dans ces circonstances, écouter et agir en conséquence, délibérer et tenir compte des arguments dissidents, s’ouvrir à ce qui ne nous ressemble pas mais pourrait nous faire grandir – voilà des exercices démocratiques qui n’ont rien d’évident. Et ce n’est pas parce que la droite s’y refuse complètement que toute la gauche s’y livre sans discontinuer.
La question démocratique se joue dans les fonctionnements institutionnels, dans les rapports administration-administrés, dans les liens parentaux et de couple, dans l’accès aux richesses collectivement produites et systématiquement privatisées, dans le mépris envers les gens d’en-bas et la fatuité dont se drapent ceux d’en haut. Elle se pose dans le déroulé des relations de travail et non seulement à propos des revenus. En fait également partie, en matière d’intervention sociale et médico-sociale, la différence politique et subjective, idéologique et clinique entre prise en charge et prise en compte. En-deçà et au-delà du binôme infernal composé par l’individualisme (si narcissique, si petit-bourgeois) et le collectivisme (si populiste, si peu créatif).
Dans la sphère publique autant que dans la vie privée, la question démocratique bat son plein. Sous des modalités diverses, elle se pose partout. Rares sont les moments où elle a revêtu une telle acuité, une telle urgence, une telle gravité. Autant rappeler que ce n’est ni un homme ni même un parti qui sont finalement en cause, mais une politique, une manière de gouverner et des objectifs de gouvernement, des styles de vie, des manières de penser et de ressentir.
Vivons-nous déjà en démocratie ou bien s’agit-il d’une démocratie approximative – effective pour les uns, écrasante pour les autres ? La question est bien celle-là, en effet. Les contenus et la portée de cette réforme contre les retraites ainsi que l’itinéraire autoritaire emprunté pour la valider montrent que le néolibéralisme n’a que faire même des formes plus ou moins démocratiques aujourd’hui en vigueur. Formes qu’on veut bien dans le décor mais aucunement au cœur de la pièce, ni dans son déroulé. La formule « démocratie libérale » ressemble de plus en plus explicitement à un oxymore. Le montrer à ciel ouvert est le seul intérêt de cette réforme.
« Démocratie » : slogan vite dépoussiéré le temps d’un discours et plus vite encore remisé dans son écrin fermé à double tour ou bien exigence jamais entièrement accomplie, pratique de tous les jours à approfondir sans relâche ? En ce dernier cas, il ne suffit plus de s’opposer, ni même de se révolter. On a tout intérêt à aller au-delà de la colère. Construire et partager des passions gaies, dirait Spinoza : interroger les évidences, repenser le monde, forger des destins qui ne soient pas des condamnations, ne pas vivre pour travailler mais travailler pour vivre, édifier une société où il ferait bon exister.
Parce que la question n’est pas facile, ni ne va surtout de soi, le temps des spectateurs qui comptent les points est bel et bien dépassé. La responsabilité de tout un chacun dans ce qui arrive et dans ce qui pourrait arriver est engagée. La victimisation n’est vraiment pas de mise. On ne saurait prétendre « je ne savais pas… ! ». Peu ou prou, nous habitons le monde que nous méritons.
Saül Karsz – avril 2023
Cher Monsieur,
Votre analyse est frappée au coin du bons sens, mais encore ? Les tenants du modèle économique nord-américain n’ont eu de cesse et ce depuis Georges Pompidou de démanteler pièce par pièce le modèle économique et social intitulé « les Jours Heureux » institué par le Conseil National de la Résistance au lendemain de la seconde guerre mondiale. Tous les présidents depuis Pompidou (normalien, directeur général chez Rothschild…) ont repris le flambeau de la destruction là où leur prédécesseur l’avait déposé – y compris les présidents « de gauche »; Quel était ce programme : 1 – liberté de la presse (elle est aux mains de milliardaires aujourd’hui). 2 – liberté d’association, de réunion, de manifestation (moribonde) 3 – retour à la Nation des grands moyens de production, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances-vie et des grandes banques (mort clinique) 4 – sécurité sociale (en soin intensif) 5 – accession pour tous à l’instruction et à la culture pour « la promotion d’une élite véritable non de naissance mais de mérite » (électro-encéphalogramme plat) 6 – Solidarité entre les génération par la retraite par répartition (en arrêt cardiaque), etc. Il s’agit aujourd’hui d’en finir une fois pour toute avec la retraite par répartition au profit de la retraite par capitalisation, d’en finir avec la sécurité sociale au profit du secteur assurantiel privé, d’en finir avec l’enseignement public gratuit au profit de l’enseignement privé. Ces 3 secteurs sont une manne financière énorme qui empêchent les néolibéraux de dormir depuis la libération. Outre la dimension financière et économique, la dimension philosophique des « Jours Heureux » est un grave danger pour le modèle philosophique néolibéral. A contrario des mensonges proférés et des manipulations en tout genre des néolibéraux de tout poils, le modèle économique et social créé par les Résistants fonctionnent très bien. Tous les présidents en complicité avec la « haute fonction publique » travaillent pour Wall-Street via la commission européenne et in fine pour la bourgeoisie possédante. Les vrais extrémistes de droite ne sont pas là où l’on nous fait croire qu’ils sont (ces derniers ne sont là en dernière extrémité que pour faire la sale besogne) les vrais fascistes siègent au CAC 40, à Davos, à Wall Street, à la City et tous les pouvoirs politiques de la planètes peu ou prou sont à leur service. Démocratie ? La question n’est plus là : On nous propose soit des dictatures molles soit dures. Pourquoi ne pose – t – on pas les bonnes questions ? Comment envisagez-vous le vivre ensemble ? Quel modèle sociétal proposez-vous ? Il est vrai que la gente politique a fait de l’usage du mensonge et de la manipulation un art consommé.
Voyons plus large, il y a deux forces qui régissent le fonctionnement de l’Univers , les forces qui construisent (les Étoiles), les forces qui détruisent (les trous noirs) : notre galaxie tourne autour d’un trou noir… Les forces néolibérales participent de la destruction. La Terre dans son histoire a connu des conditions écologiques bien plus radicales que celles que nous connaissons aujourd’hui et elle est à la moitié de sa vie avant l’implosion du Soleil. d’ici là, la vie trouvera toujours son chemin avec ou sans l’Humanité si dernière est assez bête pour se laisser détruire par une minorité d’elle-même.
La date du premier mai est bien indiquée pour accuser réception de votre courrier, cher monsieur. Une ample discussion est en effet indispensable aujourd’hui si nous voulons avancer. Il n’est pas nécessaire de partager toutes et chacune des opinions mais il est indispensable de faire de la discussion aussi ouverte que possible la règle d’or. La dialectique du pour et du contre au premier plan. Grâce à la colère et au-delà de celle-ci, nous devons faire des propositions, ouvrir des perspectives, libérer des horizons. Aussi concrètement que possible. J’aimerais donc que nous continuions le dialogue que vous me faites l’honneur de déclencher.