A propos du livre de Saül Karsz « Affaires sociales, questions intimes »
Marxisme et psychanalyse sont au cœur du travail du philosophe Louis Althusser au début des années 1960. Ces orientations ont étayé sa lecture symptomale de l’œuvre de Marx, pour en montrer les avancées épistémologiques, les ressorts révolutionnaires, les points aveugles. Althusser fut l’initiateur d’un « retour à Marx » comme Lacan le fût vis-à-vis de Freud. Ces deux penseurs se sont d’ailleurs rencontrés et inspirés réciproquement. Une question majeure se posait à l’époque : comment penser ensemble ces deux orientations sans tomber dans les impasses du freudo-marxisme, sans les fusionner ? Rappelons quelques propos. Le premier est de Jacques- Alain Miller « Nous connaissons deux discours de la surdétermination : le discours marxiste et le discours freudien. […] Nous tenons que ces discours sont susceptibles de communiquer par le moyen de transformations réglées, et de se réfléchir dans un discours théorique unitaire ». [in Cahiers pour l’analyse, 1966] ; le second est de Louis Althusser « Un jour viendra peut-être où on pourra dépasser le stade actuel de cette mise-en-rapport indicative (entre les imagos inconscientes et les figures sociales des personnages familiaux, entre la mise-en-scène de l’inconscient et la mise-en-scène de la famille, entre la censure sociale et le refoulement inconscient, etc.) mais qui reste sans suite, quand de nouvelles découvertes interviendront dans des sciences apparemment « voisines » (la neurophysiologie ? la théorie de la structure et de l’idéologie familiale ?). Mais on ne peut anticiper sur ces développements futurs sans courir de grands risques, affrontés, en vain, de son temps par Reich, et poursuivis aujourd’hui par les tenants d’un gauchisme spontanéiste ». [Introduction à la philosophie pour les non-philosophes, Paris, PUF, 2013, pp. 302-303]. Cette question s’est refermée avec la disparition du philosophe et aussi parce que la psychanalyse a suivi d’autres voies. Mais le travail d’étayage et de reformulation de cette problématique de l’articulation n’a cessé de fructifier. C’est bien dans cette filiation – tout en la renouvelant de fond en comble – que la métaphore transdisciplinaire « l’Idéologie et l’inconscient font nœud » oriente depuis plusieurs années le travail du réseau Pratiques Sociales. Avec le dernier ouvrage de Saül Karsz « Affaires sociales, questions intimes », cette « mise en rapport indicative » évoquée par Althusser est devenue une réalité théorique particulièrement opérante pour un travail clinique à visée démocratique. A travers une série de thèmes spécifiques – la vieillesse, la victimologie, la folie, le suicide, la santé, le projet, l’innovation sociale, le binôme objectivité/neutralité – l’auteur montre, preuves à l’appui, les entrecroisements dialectiques des registres collectifs/individuels, institutionnels/subjectifs, politiques/sexuels… Cette aventure intellectuelle ouvre des analyses inédites et des stratégies fructueuses. Nous vous invitons à y participer. Pour l’heure, de nombreuses manifestations visant à présenter cet ouvrage à Paris et en province sont en programmation [voir le site www.pratiques-sociales.org]. Toutes initiatives similaires portées par les lecteurs du bulletin LePasDeCôté sont les bienvenues.
Jean-Jacques Bonhomme – Juin 2017