Ce vote présidentiel du second tour a confronté beaucoup d’entre nous à une situation paradoxale, particulièrement déprimante. Vote par défaut, vote blanc ou abstention, dans tous les cas, il nous fallait subir un choix absurde : entre la peste et le choléra. Car, chacun des candidats est porte-parole de tendances et orientations désastreuses pour de nombreuses populations au profit d’une caste toujours plus arrogante. Les « prédateurs sont au pouvoir » écrivent avec rage les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot [éditions Textuel, 2017]. Ils rappellent qu’aujourd’hui, une dizaine de milliardaires possèdent un patrimoine équivalent, en valeur monétaire, à celui détenu par trois milliards et demi d’êtres humains.
Ce vote a également accentué le déclin des partis conventionnels de droite et de gauche et l’ascension de deux figures troubles : En Marche et le Front National. On ne s’étonnera pas de la gifle reçue par les partis traditionnels tout en tremblant des succès émergeants. Souvenons nous comment Antonio Gramsci qualifiait une telle situation : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Un « monstre » néolibéral, impérialiste, décomplexé… dont Emmanuel Macron est le représentant le plus à même de légitimer la guerre de classes économique, politique, idéologique. Guerre internationale qui contribue à la montée des nationalismes et des populismes d’extrême droite. La France est particulièrement exemplaire à cet égard : politique d’austérité généralisée, arasement permanent des acquis sociaux, exploitation sécuritaire et identitaire des attentats et des mouvements de migration…ont largement contribué, sous un gouvernement dit de gauche, à hisser pour la seconde fois le Front national au second tour des présidentielles.
Un « monstre » xénophobe, raciste, néofasciste … prêt à se réincarner sous d’inquiétantes figures qualifiées par l’historien Enzo Traverso de postfascistes [Les nouveaux visages du fascisme, éditions Textuel, 2017]. Plus question de croire à l’utopie d’un « Homme nouveau » comme le déliraient les dictateurs de la première moitié du 20e siècle, mais de prospérer sur les désenchantements collectifs, les peurs imaginaires vis-à-vis multiculturalisme, les colères qui ne dépassent pas le seuil de l’indignation morale. Les multiples partis d’extrême droite qui sévissent aujourd’hui, en Europe et ailleurs, convergent tous vers ce même spectre nationaliste. Ils exaltent la promesse fantasmatique du retour à un passé mythifié.
S’il est irraisonnable de soutenir la thèse de la philosophe Nancy Frazer écrivant que le néolibéralisme n’est pas l’antidote au fascisme mais son complice et partenaire criminel » [in L’âge de la régression, de A. Appadurai et Z.Bauman, [éditions Broché, 2017], il faut cependant reconnaître que ces deux « monstres » ont en commun de s’en prendre parfois aux mêmes cibles : réfugiés, migrants, musulmans, pauvres, travailleurs précaires, chômeurs de longue durée…
Au terme de ces présidentielles qui ont repoussé, pour un temps, le « plus pire », en empêchant une clique et son mentor d’accéder au pouvoir d’Etat, on peut craindre que le « moins pire », incarné par notre jeune banquier Président élu et ses élites tapis dans la pénombre, accentueront les ravages de la financiarisation, la guerre des marchés et l’ubérisation de la société.
Dans ce clair-obscur, un espoir tout de même. Quelques millions de citoyens ont semblé apercevoir un rayon de lumière. Celui porté par le mouvement de la France insoumise ouvrant des pistes théoriques, économiques et politiques alternatives. Des luttes pourraient s’y fédérer pour réarmer enfin des possibles. Nos engagements individuels et collectifs sont plus que jamais à soutenir et à faire savoir explicitement.
Jean-Jacques Bonhomme – Mai 2017