Une récente loi argentine donne le droit de choisir son identité sexuelle sans passer par un examen médical, ni une intervention chirurgicale, ni non plus par une autorisation judiciaire. Il suffit de se faire enregistrer auprès de la mairie pour changer de nom et prénom et obtenir carte d’identité et passeport. Riches et multiples enseignements en découlent.
Les questions de sexualité sont des affaires intimes, subjectives, qu’on ne saurait exhiber sur la place publique sous peine de s’adonner à une forme de télé-réalité ! Singulières, elles restent intransférables d’un sujet à un autre. N’empêche que ces affaires privées sont toujours socialement encadrées, tributaires des appartenances sociales et des situations économiques, facilitées ou compliquées par des idéologies notamment culturelles et religieuses, par des normes, valeurs et modèles quant à ce qui est correct ou ne l’est pas, des idéologies (sociales, puisqu’il n’y en a pas
d’autres) qui orientent des pratiques sexuelles et des affects supposés normaux ou anormaux… Bref, cette loi rappelle qu’en aucun cas les affaires effectivement intimes de la sexualité ne se trouvent en état de lévitation sociale et historique. C’est pourquoi ces affaires sont, pour chaque humain, complexes.
Le choix de son identité sexuelle dépend-il alors de la volonté souveraine d’un individu ou d’un couple ? Certainement pas. Même en l’absence d’autorisation médicale ou judiciaire, la décision que chaque sujet prend ou ne prend pas est corrélée à des logiques conscientes et surtout inconscientes qui en bonne partie échappent à sa maîtrise. Changer ou ne pas changer d’identité sexuelle découle d’un choix subjectif… dont le sujet n’est pas entièrement maître.
La loi concerne l’identité sexuelle, le genre, mais évidemment pas le sexe. La différence est radicale. Le sexe – femelle ou mâle – est une donnée biologique et physiologique, non modifiable sauf intervention chirurgicale. L’identité sexuelle, en revanche, est une construction psycho-sociale mise en marche par un sujet qui la porte, mais c’est une société qui la rend possible, ou pas. Elle est individuelle autant que collective, subjective autant que sociale. En d’autres mots, dans la nature il y a deux sexes, dans la culture (euphémisme pour idéologie) il y a plusieurs sexualités, plusieurs orientations sexuelles… Les humains font l’amour, ou l’évitent, non pas grâce à leur sexe (biologique) mais en y passant, en y prenant appui, en y prenant prétexte, en s’y dérobant. Chez les humains la sexualité est, non pas une donnée naturelle mais bien une construction socio-historique, – modifiable, socio-historiquement modifiable.
Voilà alors une loi nullement « libérale » comme on dit bêtement quand on ne peut ou ne veut pas dire progressiste, une loi qui, tous comptes faits, prend acte de comment les choses se passent chez les humains, de fait, jour après jour, nuit après nuit. Ce, qu’ils choisissent de changer d’identité sexuelle ou qu’ils choisissent de continuer à étayer celle qu’on leur aura donné à construire dès avant leur naissance physique. Enjeux subjectifs, enjeux idéologiques, enjeux philosophiques, enjeux politiques : ce n’est pas tous les jours qu’une loi, en légiférant, donne tant à penser.
Saül Karsz – Juin 2012