Depuis qu’il existe, le couple est un espace privilégié pour la tendresse, la confiance mutuelle ou l’affection mais il comporte également son lot de discorde, désaccord ou conflit. Qu’il s’agisse des querelles quotidiennes (les fameuses « chaussettes sales qui traînent dans la salle de bain ») ou bien des crimes qu’on appelle « passionnels », la chose est entendue : un couple, ça se chamaille aussi, ça s’engueule parfois, ça s’entretue occasionnellement. La littérature, le théâtre ou la chanson en livrent maints exemples, et même les programmes télévisuels se régalent des mœurs matrimoniales depuis la nuit des temps cathodiques (de Tournez manège à l’indigent L’amour est dans le pré). Une tendance actuelle dans certains services, notamment psychiatriques, consiste à assimiler certaines modalités de relation conjugale à une maladie du couple appelée conjugopathie.
Conjugal vient du latin « conjugalis » (relatif au mariage) tandis que le suffixe pathie désigne en médecine une maladie, une pathologie (myopathie, cardiopathie…) ; il peut également nommer un sentiment, une attitude (empathie, sympathie, antipathie). Le porteur d’une conjugopathie peut s’envisager comme atteint d’une pathologie du couple, état provoquant chez lui une difficulté, voire une souffrance dont la cause, la logique serait liées à sa situation conjugale. Mais il peut également être considéré comme celui ou celle dont les affects, les attitudes vis-à-vis du couple et/ou du partenaire mettent à mal une certaine idéalisation de la conjugalité comme lieu exclusivement consacré à la tendresse, la confiance, l’amour.
Le conjugal comprend des pratiques (sexuelles, relationnelles), des modes de vie (logement, repas de famille, vacances), des rituels (saint-valentin, cadeaux d’anniversaire) – le tout orienté par les modèles culturels spécifiques à une société et à une couche sociale. Un couple ne s’aime ni ne se dispute uniquement selon le bon vouloir de ses membres. Et ce d’autant moins que haine et amour sont des notions antagonistes qui cohabitent inséparablement chez un même sujet (Lacan : hainamoration). Les sujets diagnostiqués porteurs d’une conjugopathie ne le sont qu’au regard de modèles, pas forcément explicités comme tels – aucunement vis-à-vis Du Couple immuable, intangible.
Reste à déterminer à partir de quand un individu est supposé être pris dans la conjugopathie… Pareil diagnostic présuppose une forte dose de conflictualité, mais cette dernière ne peut être considérée comme pathologique qu’au regard de modèles conjugaux définitivement pacifiques et sans accrocs, de la fameuse paix des ménages. Ce diagnostic implique également des dysfonctionnements plus ou moins aigus, lesquels sont impensables sans référence à un fonctionnement idéalisé et définitivement calme.
Ponctuations en forme d’invitation à la prudence quant au maniement de cette (pseudo ?) pathologie. La conjugopathie laisse à penser que le couple dit non maladif serait une instance vouée exclusivement au bien-être et à l’épanouissement de ses membres. Et que le conflit, la plainte, la frustration, le ressentiment, voire la violence, ne seraient que des anomalies.
Sébastien Bertho – Juin 2017
Bonjour, votre article est intéressant. Mais est ce que quelqu’un peut être atteint de conjugopathie plus de 6 ans après la séparation ?
Merci par avance
Dans la mesure où la dite conjugopathie est une construction idéologico-imaginaire, aucune raison pour qu’elle s’arrête. Ni pour qu’elle commence non plus ! Une stratégie peut être de revoir son ex afin de se demander ce qu’on pouvait bien avoir eu en commun avec lui, avec elle, à l’époque…
SK