You are currently viewing XXèmes Journées d’Etude et de Formation du Réseau Pratiques Sociales – CIEP 17 – 18 – 19 novembre 2014 [compte-rendu de la première journée]

Anthropologie, sociologie, psychanalyse, droit, travail social… chaque chercheur invité s’est escrimé, en investissant sa discipline ou bien en la croisant avec d’autres, à rendre compte d’un thème particulièrement surdéterminé « famille(s), parentalité(s) et autres enjeux contemporains ». La forte actualité théorique et stratégique de ce thème ne pouvait se dispenser des apports mono, inter, pluri et surtout transdisciplinaires. Alternant vignettes professionnelles, conférences, débats et ateliers, ces Journées – aidées par l’intelligence jubilatoire et burlesque du Bataclown – ont répondu aux attentes des organisateurs et probablement à la majorité des participants [80 inscrits]. Ces derniers continueront leur travail lors d’un atelier bilan programmé à Paris-Bastille, samedi 17 janvier prochain – entrée libre sur inscription.

Faire un pas de côté : métaphore et mot d’ordre à Pratiques Sociales. Il s’agit d’interroger quelques évidences tenaces, développer des analyses rigoureuses et argumentées pour fluidifier les pratiques, gagner en lucidité, et ouvrir des perspectives. Objectif théorico-stratégique investi par chaque intervenant avec des avancées et des limites, des sauts en avant et des points de butée. Un processus de travail fut ainsi à l’œuvre dans et sur la problématique de la parentalité, illustré ci-après par quelques exemples. Impossible en effet de rendre compte de la totalité et de la richesse des interventions.

Comment faire famille (s) aujourd’hui ?

Se décentrant de nos univers culturels de référence, Maurice Godelier a sérieusement déstabilisé certains lieux communs encore prégnants aujourd’hui, dont celui de la famille supposée au fondement des sociétés. Il a accentué la relativité historique des subjectivités, des sentiments amoureux, du désir d’enfant, de l’hétéro et de l’homosexualité dans la formation des unions. Il a interrogé la puissance des imaginaires et des mythes. Subordonnant la formation des rapports sociaux, non pas à la famille mais aux systèmes politico-religieux, Maurice Godelier a décrit les invariants universels de la parentalité, les structures des parentés et des alliances. Décentrage anthropologique, humour subtil, il a charmé et instruit le public. On s’étonnera cependant de la synonymie qu’il introduit entre parenté et parentalité, comme si ce dernier terme n’était qu’une réactualisation moderne du premier et ne comportait aucun enjeu idéologique et politique d’envergure dans la société contemporaine.

Dans son exposé «Positions des psychanalystes dans les questions de genre », Michel Tort a mis l’accent sur les confusions produites par des psychanalystes entre concepts tirés de l’expérience analytique et stéréotypes sociaux à forte composante religieuse. Posture épistémologique utile pour la théorie psychanalytique mais inconfortable pour un porte-parole et qui l’amène à des conflictualités internes à son domaine de pensée et d’intervention, a-t-il précisé dès son introduction. Il a ainsi fort utilement rappelé que la psychanalyse est un champ divisé en orientations, écoles, chapelles… Mais il a aussi un peu perdu son auditoire pas toujours rompu à la problématique psychanalytique.

Une problématique complexe : Rappelant le pluriel des familles et des parentalités, Saül Karsz a montré que la famille n’est pas une structure éternelle, dite anthropologique, mais bien une construction socio-historique, mutante : d’où le syntagme « forme-famille » décrivant une des modalités du vivre-ensemble. Raison qui permet de comprendre que les familles sont traversées par des enjeux privés ou domestiques mais aussi par des enjeux économiques, politiques, idéologiques – en termes de pouvoir, de rapport à l’autorité, d’éducation, de scolarité, de maltraitance… Signifiant ubiquitaire : la parentalité mène à tout, tout mène à la parentalité, avance Saül Karsz. En déconstruisant nombre de lieux communs sur les risques imaginaires d’indifférenciation-permutation des sexes, la pseudo-marchandisation de l’humain, la chute de l’ordre symbolique, l’exposé a montré que les multiples mutations et comportements des familles, les revendications et controverses à son propos sont à penser dans le cadre de la révolution néolibérale en cours et de ses contestations. C’est dans ce contexte qu’il revient de situer la problématique de la parentalité, notion hybride et contradictoire, parcourue par des tendances divergentes à la fois progressistes et conservatrices, démocratiques et sécuritaires. Une réalité s’impose : revisiter nombre de nos schémas, représentations, catégories, manières de penser et de faire. Il s’agit d’une prise de parti à laquelle nous a invités Saul Karsz : définir aussi rigoureusement que possible la parentalité – pour savoir de quoi on parle et sur quoi il s’agit précisément d’intervenir.

Jean-Jacques Bonhomme – décembre 2014

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